"Mégabassines" des Deux-Sèvres - Les données du rapport du BRGM sont-elles périmées ?

Le projet de bassines des Deux-Sèvres, qui a défrayé les actualités ces jours-ci, s’appuie sur un rapport du BRGM dont les conclusions lui sont favorables (d’un point de vue hydrologique, du moins). Comme on pouvait s’y attendre, ces conclusions ont été nuancées et critiquées par beaucoup de gens.
Dans cet article, je ne m’intéresserais qu’à une seule critique (la plus fréquente) que je formulerais ainsi : « les données du BRGM s’appuient sur la décennie 2000 – 2011, donc sont obsolètes dans le cadre du réchauffement climatique ».

Je rappelle le principe de l’étude : réaliser un maillage du territoire en rentrant un tas de données chiffrées correspondant à une période donnée (niveaux piézométriques des nappes, précipitations, niveaux des cours d’eau, vitesses des déplacements d’eau, etc.). La modélisation numérique permet ainsi de rendre compte de l’ensemble des flux hydriques qui ont lieu sur la zone concernée, pendant une période de référence donnée.
Et ensuite, les hydrogéologues ajoutent sur la modélisation les données correspondant au projet, et analysent les variations de flux par rapport à la modélisation de référence.
Le problème étant que cette situation de référence a été bâtie sur la décennie 2000 – 2011. Et on peut légitimement penser que la situation hydrologique de la région a significativement changé depuis, et va continuer à changer dans le futur.
C’est ce que je vais tenter de vérifier ici.

Première question : Est-ce que la situation hydrologique a changé depuis les années 2010 dans la région ?

Pour répondre à cela, je suis allé voir sur ce site. Là, dans l’onglet « consultation », il y a une carte avec la localisation des différentes stations de mesure des niveaux piézométriques des nappes phréatiques.

A partir de là, je suis allé voir les données de 4 stations les plus proches possibles des futurs lieux de prélèvement prévus dans le projet de bassines.

Voici les données de la station PRISSE (1), de la station PRAHECQ3 (2), de la station PAMPROUX1 (3) et de la station LEZAY (4).

Comme on peut le voir, les hivers où les nappes ne se rechargent pas sont relativement peu fréquents.
Depuis 2000 :
PRISSE : 2002, 2005, 2017, 2022
PRAHECQ3 : 2005, 2017 (+/-), 2022 (+/-)
PAMPROUX1 : 2005, 2006, 2022 (+/-)
LEZAY : 2005, 2007, 2017 (+/-)

Et surtout, on ne voit pas de différence entre la période 2000 – 2011 et la période 2012 – 2022. Au contraire, la sécheresse hivernale la plus marquée est sur la première période (2005).
On peut donc légitimement penser que si la simulation de référence du BRGM avait été faite sur des données plus récentes, cela n’aurait pas changé fondamentalement les conclusions.
 
Deuxième question : Est-ce que la situation à l’avenir sera défavorable au remplissage des nappes l’hiver ?

Avec le réchauffement climatique, on s’attend à ce que les sécheresses soient plus fréquentes et plus intenses.
Mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser, on ne prévoit pas de tendance à la baisse des volumes de précipitations annuelles. En réalité, les problèmes hydrologiques à venir ne seraient pas tant liés à un problème de quantités annuelles que de répartitions des précipitations au cours des saisons.
Concrètement : on s’attend à avoir davantage de précipitations en hiver, et moins en été.

Si vous n’en êtes pas convaincu, je vous invite à parcourir ce document. P.13, vous verrez que quel que soit le scénario climatique considéré, les précipitations attendues augmentent en hiver et diminuent en été.

Si les variations régionales vous intéressent, il y a ce document qui est aussi très intéressant (p.15), sur lequel on peut visualiser les variations de précipitations en fonction du scénario climatique considéré sur la période 2035-2065, et sur la période 2070-2100.

Si le sujet vous intéresse, vous pouvez même créer vos propres modélisations sur ce site.

Quoi qu’il en soit, quel que soit le scénario climatique considéré, on observe bien une augmentation des précipitations sur la zone concernée pendant l’hiver. Dans ce contexte, on peut donc supposer que les nappes des Deux-Sèvres n’aient pas de soucis à se remplir l’hiver, même dans quelques années / décennies. Le problème sera sur l’été.

Il y a tout de même un bémol à ce raisonnement qu’il faut prendre en compte. Là, j’ai parlé de précipitations, mais il serait plus juste de parler de l’évolution de l’« eau renouvelable » (ou « précipitations efficaces »), qui prend en compte à la fois les précipitations et la part d’eau qui repart directement dans l’atmosphère par évapotranspiration (évaporation de l’eau au niveau des feuilles des plantes).
Or, cette évaporation a tendance à augmenter avec le temps à cause du réchauffement climatique, ce qui entraine fatalement une baisse de l’eau renouvelable. Celle-ci aurait diminué sur le territoire français de 14% depuis 1990.

Cependant, l’évapotranspiration est plus faible pendant l’hiver que pendant l’été, car beaucoup de plantes sont en dormance ou perdent leur feuillage (source).

Il est donc peu probable que cette augmentation de l’évapotranspiration gène véritablement la recharge des nappes pendant l’hiver.
Cette information est confirmée dans ce dossier (p.28), où il est clairement indiqué que l’eau renouvelable n’évolue pas pendant hiver sur la période considérée.

En revanche, il y a un bémol concernant l’automne, où effectivement on a bien une augmentation de l’eau évapotranspirée à ce moment-là. Or, c’est le moment où les nappes commencent à se recharger dans la zone des Deux-Sèvres…

Alors est-ce que l’augmentation des précipitations l’hiver compensera cette augmentation de l’évapotranspiration pendant l’automne et suffira à remplir les nappes l’hiver ? La question est à mon avis difficile à trancher. Il est cependant probable que ce projet améliore sensiblement la situation hydrologique de la région, au moins pendant quelques années / décennies. Est-ce que ça suffira ? Probablement que non au regard des conditions très sèches attendues en période estivale.

De plus, le réchauffement climatique augmentera les quantités évaporées, ce qui réduira d’autant les volume disponibles pour l’irrigation.
Ainsi, les experts semblent s’accorder sur le fait qu’il faudra d’autres mesures d’adaptations, dont une baisse des prélèvements. Et ça tombe bien, car le projet des Deux-Sèvres ne se limite pas juste à la construction de ces bassines, mais intègre également un tas de mesures contraignantes pour les agriculteurs irrigants visant, entre autres, à diminuer leurs prélèvements. Grâce à ces engagements, l’objectif est de diminuer de façon très nette les prélèvements par rapport à ce qui se faisait précédemment : il est prévu de prélever 12.7 Mm³ d’eau (dont 6.8 l'hiver) au lieu des 24.3 Mm³ de la période 1999-2003.

Je vous invite d’ailleurs chaudement à jeter un œil sur les contreparties du projet sur ce lien :
 
Remarque :
Je ne parle dans ce thread que de la critique de l’étude du BRGM citée dans l’introduction. Le problème des bassines des Deux-Sèvres est évidemment bien plus large que cela, et inclue plein d’autres problématiques. J’en ai parlé un peu dans mes différents articles à ce sujet :