Impact de l'élevage sur les surfaces agricoles

J’ai l’impression qu’il y a pas mal de gens qui pensent que l’abandon de l’élevage serait la solution miracle pour la durabilité de notre agriculture… Ainsi, selon certaines personnes, cela permettrait par exemple de compenser les pertes de rendements lié à l’AB et ainsi d’atteindre le 100% bio sur notre territoire. Pour d’autres, cela permettrait une diminution, voire un arrêt (!), de la mécanisation.
Pour ces gens, l’arrêt de l’élevage entrainerait une diminution drastique des surfaces agricoles, ce qui entrainerait un tas de bienfaits supposés en termes de développement durable.
Sans nier le fait que l’élevage présente des externalités négatives pour l’environnement, il me semble important de bien faire la part des choses, et de ne pas considérer cette option comme *LA* solution ultime à tous nos problèmes, car à mon avis ce n’est pas le cas.
C’est pour ça que je me permets cet article.

*Disclaimer : il est probable que pour beaucoup d’entre vous, je ne fasse qu’enfoncer des portes ouvertes, mais… Sait-on jamais.*

*Disclaimer n°2 : Je ne parlerai pas des émissions de méthane liées à l’élevage, qui constitue l’autre gros problème de ce secteur. *

 
L’origine du truc, c’est je pense ce genre de figures (ici diffusée par WWF), qui présente les surfaces de sol nécessaires pour la production de différents types d’aliments.

On y voit que les produits d’élevage nécessitent beaucoup plus de surface que les produits végétaux (on a par ex. un facteur 20 entre la viande de bœuf et les pâtes). Sans être fausse (encore que, je n’ai pas vraiment vérifié…), je trouve que ce genre d’infographie est trompeuse.

Déjà, pourquoi donc l’élevage nécessite autant de surfaces agricoles ?
Car on introduit un maillon supplémentaire dans la chaine alimentaire par rapport à un agrosystème de culture classique : le bétail. Et ces animaux vont dépenser au cours de leur vie énormément d’énergie pour assurer les fonctions de leur métabolisme (le processus énergétique impliqué est la respiration cellulaire).
En conséquence, il y aura une grosse perte de rendement énergétique. Concrètement, il faudra beaucoup plus de bouffe pour nourrir ces bêtes que ce qui sera obtenu à la fin en viande ou en lait...

Du coup, comme il faut plein de nourriture pour les bêtes, cela signifie qu’il faut des surfaces conséquentes pour produire cette nourriture. A priori, si j’en crois cette figure de l’INRAE, l’élevage utilise 70% des terres agricoles praticables. On est certes loin du facteur 20 précédemment évoqué, mais ça reste considérable.

A partir de là, on en arrive à la conclusion qu’en supprimant l’élevage on diviserait par 3 les surfaces agricoles nécessaires.
Or, dans la tête de beaucoup de gens, surfaces agricoles = surfaces cultivées. Donc on peut facilement déraper sur un raisonnement fallacieux du type : si on arrête l’élevage, cela permet d’avoir trois fois moins de terres cultivées, donc ça nécessiterait trois fois moins de travail humain pour produire des denrées alimentaires pour tout le monde, et puis on diviserait les impacts par trois (trois fois moins d’engrais, trois fois moins de pesticides, …).
Et ainsi, la baisse du travail nécessaire permettrait la réalisation de tous les rêves écolos : 100% bio, arrêt de la mécanisation, retour à la terre, arrêt du glyphosate (surtout), etc.
Et c’est là qu’on glisse dans le n’importe quoi, parce qu’en fait toutes les terres agricoles ne se valent pas (du tout) en termes d’impacts et de travail nécessaire.
D’un côté, on a les terres cultivées (les champs en gros), et de l’autre les prairies.

Dans les prairies, il y pousse des herbacées sauvages, qui vont servir à nourrir nos élevages. Des herbacées suffisamment résistantes pour pousser sans interventions humaines (ou presque, selon les cas). Du coup, dans la plupart des cas, pas besoin de pesticides, ni d’engrais (y’a des légumineuses là-dedans), ni d’irrigation, ni de glyphosate (surtout pas). Et pas besoin non plus de travailler le sol. Bref, c’est beaucoup plus simple de s’occuper d’un hectare de prairie que d’un hectare de champ.
Et les impacts environnementaux des prairies sont également bien meilleurs. D’ailleurs, il est démontré qu’une prairie entretenue par l’élevage présente généralement des tas d’avantages environnementaux ou patrimoniaux, même par rapport à des écosystèmes sauvages !
-La biodiversité est souvent meilleure que dans la plupart des écosystèmes naturels.
-Les prairies stockent du carbone, de manière très efficace, et donc contribuent à la lutte contre le réchauffement climatique.

-Les prairie permettent la signature patrimoniale d’un grand nombre de nos territoires.
Bref, il est hors de question d’assimiler ces prairies à des champs. Ça n’a juste rien à voir. Et c’est là que l’infographie précédemment présentée est trompeuse, car elle regroupe allégrement ces deux choses-là sous le nom de « surfaces de sol », et hop, le tour est joué.

Alors c’est bien beau tout ça, mais les élevages ne se nourrissent pas que de prairies. Il y a également des terres cultivées qui servent à les nourrir. Alors quantifions un peu tout ça : d’après cette infographie de l’INRAE, les élevages sont nourris à 80% par des prairies, et à 20% par des terres cultivées. Cela signifie qu’il y a en gros une 40aine de % des terres cultivées dédiées à l’élevage, pour environ un quart des calories de notre alimentation.

Donc la suppression totale de l’élevage ne serait pas si bénéfique que ça en termes de diminution des terres cultivées (Probablement une 20aine de %). Mais quand même.
D’ailleurs, le plus optimal en termes de surfaces cultivées n’est pas de supprimer tous les élevages, mais juste de supprimer la part des cultures dédiées à l’alimentation de l’élevage. Car l’élevage permet de valoriser de la matière organique qui n’est pas valorisable autrement : celle présente dans les prairies, ainsi qu’un tas de co-produits de cultures qui ne pourraient pas vraiment être valorisés autrement.

Alors après, faut pas se mentir, actuellement en France il y a beaucoup trop de consommation de produits animaux (et donc d’élevages) pour que le système actuel soit optimal en termes de surfaces cultivées.
Certaines études ont tenté d’évaluer quelle serait la proportion optimale de protéines animales dans le régime alimentaire pour que la surface cultivée soit la plus faible possible. Verdict : 15 à 30 % de protéines animales dans le régime.

Aujourd’hui, en France, on est entre 60 et 70 % de protéines animales dans notre alimentation. Il faudrait donc environ diviser la quantité de produits animaux par trois pour être sur un système optimal.
A noter que l’arrêt total de l’élevage entrainerait aussi une fermeture de nos paysages ruraux, ainsi qu’une disparition des engrais « naturels » de type effluents d’élevage, qui sont les seuls engrais efficaces autorisés en agriculture biologique.
Donc, bien loin de permettre le 100 % bio, la disparition de l’élevage condamnerait en réalité très probablement ce type d’agriculture…