Géologie et agriculture

Je décide aujourd’hui de m’atteler à parler d'un domaine scientifique passionnant et bien trop sous-évalué : la géologie. Et comme je parle souvent d’agriculture ici, je vais tenter de répondre partiellement à la question suivante :

En quoi la géologie détermine-t-elle les pratiques agricoles en France ?
 
Il y a un an, @lecartographe sortait une magnifique carte exposant la répartition des différents types d’agricultures en France (gauche).
Pour toute personne ayant réalisé des études de géologie, les similitudes avec la carte géologique au millionième (droite) semblent sauter aux yeux… Je vous laisse regarder par vous-même.

Un petit rappel de comment est conçue une carte géologique : ce type de carte expose la nature des terrains présents en surface (= « à l’affleurement »).
En nuances de rouges / roses, on trouve des terrains granitiques ou métamorphiques, ce qu’on appelle le « socle », qui sont les roches qui constituent la majorité de la croute continentale.
En jaune / orange / vert / bleu (clair) / violet, on a des roches sédimentaires, ce qu’on appelle la « couverture ». Il s’agit de la fine couche de roches qui nappe le socle et qui s’est constituée à partir de sédiments consolidés. Ces roches sédimentaires peuvent être de différentes natures, les plus courantes sont calcaires (dont la craie), mais il peut aussi y avoir (par exemple) des grès (grains de sable consolidés) ou des argiles…

En fait, ce lien de causalité (même s’il existe, on le verra) n’est pas si déterminant que ça, car il y a un autre facteur important qui entre en jeu : le relief. Et le relief va déterminer à la fois la nature des roches en surface et la nature de l’agriculture pratiquée.

En effet, lorsque le relief est plus important, alors les couches géologiques sont plus vulnérables à l’érosion, ce qui a tendance à décaper la couverture sédimentaire et donc à exhumer le socle sous-jacent (surtout quand le relief est ancien).
 
Au contraire, les zones à faible relief ont tendance à être fréquemment immergées donc ont tendance à accumuler des sédiments. On obtient donc des bassins sédimentaires.
Ainsi, notre carte géologique présente deux grands types de structures :

-Les bassins sédimentaires : en France on a des grands bassins qui ont commencé à se remplir au trias (250 à 200 Ma) : le Bassin Parisien et le Bassin Aquitain (+ le bassin du Sud-Est, plus petit). Et des petits bassins qui se sont formés plus récemment, lors d’un épisode extensif est-ouest datant de l’oligocène (33 à 23 Ma) : Fossé Rhénan, Fossé Bressan, Limagnes.

-Les massifs montagneux : Alpes, Pyrénées, Jura, Vosges, Massif Central, Massif Armoricain (bon, celui-là n’est pas très montagneux mais tant pis).

Et le relief conditionne la nature des agricultures pratiquées.
Les cultures (surtout les grandes cultures) sont majoritairement favorisées par des reliefs plats pour plusieurs raisons :
-Plus facile de manœuvrer les engins agricoles,
-Sol moins érodé donc plus épais,
-Disponibilité de l’eau meilleure (lorsqu’il y a du relief, l’eau ruisselle, ce qui la rend moins disponible).
Lorsque les reliefs sont plus marqués, il est plus difficile de mener des cultures, il y a donc plus d’élevages.

Une exception à cela, la viticulture, qui se pratique en général sur des pentes plus ou moins marquées (les « coteaux »). La vigne ne nécessite en effet pas beaucoup d’eau, ni des sols très riches, et a besoin au contraire d’une bonne exposition au soleil.

Et ces reliefs, d’où ils viennent au fait ? En France, les reliefs positifs proviennent principalement :
-De la convergence tectonique entre la plaque africaine et la plaque eurasiatique, qui entraine de la compression et donc des déformations. Ces déformations sont notamment responsables de la formation des Pyrénées, des Alpes et du Jura.

-De reste de chaines de montagnes passées (notamment, le reste de la chaine Hercynienne, une chaine de montagnes gigantesque dont de début de la formation date de 500 Ma).

-Du gonflement thermique lié à la présence de « points chauds » : Massif Central, Vosges.

Mais même au sein du même bassin sédimentaire, on a parfois des grosses différences de reliefs et de paysages d’un endroit à un autre. Ces différences sont en général dues aux variations dans les roches sédimentaires en présence, mais pas seulement. Voyons trois exemples de ces variations de reliefs…

-Relief et tendreté des roches.
Pour prendre un exemple à côté de chez moi, dans l’Oise : on n’a pas du tout les mêmes paysages dans les terrains crétacés du « Plateau Picard » que dans les terrains tertiaires situés plus au sud.

Le Plateau Picard comme son nom l’indique est très plat, et il y a donc énormément de grandes cultures. Tandis que la zone tertiaire, plus au sud, est plus vallonnée, plus forestière, et beaucoup moins cultivée.

Cette différence provient en réalité de la nature des terrains géologiques, qui n’ont pas la même « tendreté ». Au sud, des calcaires massifs et des grès, à priori plutôt résistants à l’érosion, donc formant des reliefs vallonnés. Au nord, des craies plus tendres et peu résistantes, responsables de reliefs plats.
Au passage, ces craies sont caractéristiques du crétacé (d’ailleurs le nom vient de là). A cette époque les conditions climatiques chaudes et les hauts niveaux marins étaient favorables au développement en masse de microfossiles de type « coccolithoforidés », dont les minuscules squelettes calcaires sont responsables de la formation de la craie.

Ainsi, partout où on a des terrains crétacés dans le Bassin Parisien on trouve ce genre de paysages plats avec plein de champs partout. Par exemple en Champagne crayeuse.

-Des coteaux pour les vignes.
Quand on regarde la carte de la répartition des pratiques agricoles, on voit la présence de nombreux vignobles en Bourgogne, alignés sur un axe SO/NE.
Sur la carte géologique, on voit que la position de ces vignes suit le jurassique inférieur (bleu clair) en périphérie du Bassin Parisien.
C’est en partie à cause des reliefs bien particuliers qu’on a à cet endroit-là : les « cuestas ». Les couches sédimentaires du Bassin Parisien rebiquent à cause du ploiement des couches sous leur propre poids, ce qui forme des côtes propices à la culture de la vigne.

-La boutonnière du Pays de Bray.
Tectoniquement parlant, le Bassin Parisien est plutôt calme… Mais il y a quand même quelques failles, parmi lesquelles la plus impressionnante est sans aucun doute la faille de Bray-Vittel (en rouge sur la carte de gauche). Celle-ci traverse tout le Bassin Parisien, de la côte jusqu’aux Vosges.
Cette faille constitue une zone de fragilité dans le socle. A cause de la convergence Afrique / Eurasie, il y a eu un décalage du socle au niveau de cette faille, ce qui a occasionné un petit pli sur la couverture sus-jacente, au niveau du « Pays de Bray » (région située entre Beauvais et Neufchatel) (cf. carte droite).

Ce petit anticlinal (= pli « en bosse ») a généré un relief, qui a ensuite été évidé par l’érosion. En conséquence, on voit apparaitre à cet endroit précis les terrains sédimentaires sous-jacents, d’où le terme de « boutonnière du Pays de Bray ».

Dès lors, du fait du relief assez marqué dans cette région, et des terrains sédimentaires argileux propices aux pâturages, l’agriculture locale est spécialisée dans les élevages bovins, ce qui est singulier par rapport à ce qu’on a autour…
C’est de ces cheptels que proviennent quelques stars fromagères locales, comme le Neufchatel.
 
Depuis le début de cet article, je raconte en gros qu’il y a impact de la géologie sur le relief, et impact du relief sur l’agriculture. Mais il n’y a pas que ça, et évidemment la géologie impacte également la nature des sols, qui elle-même sera déterminante dans l’efficacité des différentes pratiques agricoles.

Ce lien entre nature des roches / nature du sol / agriculture est très complexe. Ainsi, je ne rentrerai pas dans les détails, mais je contenterai de traiter quelques exemples précis…
On a dit qu’en général les terrains sédimentaires à reliefs plats étaient idéaux pour mener des grandes cultures. Pourtant, la Champagne crayeuse (appelée aussi « Champagne pouilleuse »), a été pendant longtemps peu propice à l’agriculture. En cause, le fait que la craie soit directement présente en surface.

Or, cette craie est poreuse, et ne retient ni l’eau ni les minéraux essentiels au développement des plantes, qui sont alors lessivés dans les sous-sols. Il fallut attendre le milieu du XXe siècle pour que cette pauvreté des sols soit compensée par des amendements massifs d’argile et de fumier.
Alors pourquoi il n’y a-t-il pas eu le même genre de problèmes en Picardie par exemple ? Car dans la plaine picarde, ces craies sont majoritairement recouvertes de sédiments récents (notés Lp, Ls ou Le sur la carte) : des limons ou des loess déposés respectivement par des cours d’eau ou par le vent. Ces sédiments, riches en argiles, vont permettre une meilleure rétention de l’eau et des minéraux.

Dans la Beauce, une des zones les plus agricoles de France, c’est justement parce que ces limons sont très épais que la région est si fertile, sûrement grâce aux nombreux cours d’eau méandreux qui coulent (et ont coulé) à proximité.
A noter quand même que la présence de ces sédiments récents de type limons ou lœss dépend aussi du relief, car dès que celui-ci est un peu marqué, alors en général l’érosion les décape, privant les sols de leurs bienfaits.
Bien sûr il y aurait plein d’autres exemples d’influences des terrains géologiques sur les performances agricoles, mais je m’arrêterais là pour aujourd’hui !
A préciser que le climat détermine aussi beaucoup le type d’agriculture pratiquée, mais ce n’est pas le sujet de cet article.