Impact du contexte géologique sur la situation des nappes phréatiques.

Le BRGM vient de publier son rapport de situation de l’état des nappes phréatiques au 01/06 : On y constate une grande diversité des situations selon les nappes considérées.

On a par exemple des zones où les niveaux sont très élevés, comme en Bretagne, et des zones où les remplissages sont très insuffisants, comme dans le sud-est de la France ou dans le bassin de Bresse… Dans certains cas, ça se justifie par la diversité des précipitations sur le territoire, mais pas toujours : on a parfois des grandes disparités entre des zones pourtant géographiquement adjacentes… Par exemple les nappe du Bassin de Bresse sont à des niveaux très faibles, alors que juste à côté on a des zones en vert possédant des remplissages satisfaisants (cf. image de gauche)… Autre exemple : les Limagnes (de Roanne et de Clermont-Ferrand) qui présentent des niveaux beaucoup plus inquiétants que dans le reste du Massif Central (cf. image de droite)…

L’objectif de cet article est donc de comprendre pourquoi on a ces diversités. Et quand on compare la carte du BRGM avec la carte géologique au millionième de la France, on voit bien qu’il y a une sorte de correspondance. On se rend donc vite compte que la géologie sera prédominante là-dedans…

1) Rappels d’hydrogéologie.

Pour bien comprendre tout ça, il faut avoir des bases en hydrogéologie. Si vous les avez, passez directement au point 2. Pour les autres, voici quelques rappels (que j’ai déjà abordés dans mes précédents articles) :

-Les aquifères
Un aquifère est un terrain géologique capable de contenir de l’eau dans ses interstices. Il existe différents types d’aquifères. Dans certains aquifères, l’eau est stockée dans des fissures, on parle alors d’aquifères discontinus.

C’est le cas par exemple dans certaines régions calcaires qualifiées de « karstiques ». Dans ces zones-là, l’eau s’infiltre par des réseaux de fissures, agrandies par les effets de la dissolution. Cela peut former notamment des grottes, des rivières souterraines, des avens, etc.

On a également des aquifères discontinus dans les régions cristallines où le socle granitique affleure en surface comme le Massif central, le Massif armoricain ou les Vosges.

Parfois, au contraire, l’eau est stockée dans la porosité de la roche : on parle alors d’aquifères continus. C’est le cas p.ex des terrains sableux, gréseux, ou crayeux, ou des alluvions. Il existe aussi des aquifères mixtes, qui présentent à la fois une porosité et des fissures.
Les aquifères peuvent aussi être définis par deux paramètres :
*La permissivité, qui quantifie la vitesse de circulation de l’eau en son sein : une forte permissivité signifie que la résistance à l’écoulement est faible dans l’aquifère.
Les aquifères discontinus ont en général une permissivité plus importante que les aquifères continus, surtout pour les aquifères karstiques, dans lesquels l’eau circule avec une cinétique similaire aux cours d’eau (on parle de rivières souterraines).
*La capacité de stockage d’un aquifère dépend de son volume et de la proportion d’interstices.
Ces 2 paramètres définissent la « diffusivité » de l’aquifère, qui correspond au rapport entre la transmissivité et la capacité. Cette diffusivité va contrôler la réactivité de la nappe.

-Les nappes phréatiques
Il s’agit des volumes d’eau contenus dans les aquifères. On peut mesurer le remplissage des nappes grâce à des piézomètres, forages permettant la mesure du niveau de l’eau souterraine en un point donné.

Ces nappes, contrairement à une idée reçue, ne sont pas statiques mais circulent au sein des aquifères, plus ou moins rapidement. Les nappes sont plus ou moins connectées aux cours d’eau selon la nature géologique des roches.

Les nappes peuvent être situées près de la surface : on parle alors de nappes libres ; ou en profondeur, sous des niveaux imperméables (en général argileux) : on parle alors de nappes captives.

Les nappes libres sont fortement connectées aux cours d’eau et leur volume varient plus ou moins rapidement en fonction des précipitations. Les nappes captives s’écoulent peu et mettent beaucoup de temps à se recharger comme à se vider.
Suivant la position de la nappe et la diffusivité de l’aquifère qui la contient, on peut définir la « réactivité » de la nappe : la vitesse de réaction de la nappe lors d’une perturbation (un épisode de précipitations par exemple).
Les nappes libres et les nappes à forte diffusivité seront ainsi plus réactives.
Les nappes à faible réactivité sont qualifiées de nappes « inertielles ».

2) La situation des nappes du Bassin Parisien.

Dans le cas du Bassin Parisien, on a un grand bassin sédimentaire multicouche. Les capacités de stockage sont en général considérables vu l’envergure (surtout au cœur).

Il y a aussi beaucoup d’aquifères captifs, plus ou moins profonds. Concernant les roches sédimentaires présentes, au centre du BP on a surtout des roches poreuses (souvent à faible transmissivité) : sables / grès pour les terrains tertiaires (jaunes), craie pour les terrains crétacés (verts)

En revanche, les terrains jurassiques (bleus), sont des calcaires massifs : on a donc plutôt des aquifères discontinus de type « calcaire fissuré » ou « karstique », donc avec une forte transmissivité. Ainsi, dans le cœur du bassin, on aura globalement des nappes inertielles. Dès lors, l’état de la nappe dépendra de l’ensemble des précipitations depuis plusieurs mois (voire plusieurs années)… Précipitations qui sont globalement déficitaires (sauf au printemps 2023).

Voilà pourquoi les niveaux des nappes au cœur du Bassin Parisien sont plus faibles que la normale, et qu’ils varient assez peu, même lorsqu’il y a eu des précipitations importantes en avril. Une exception : les nappes jurassiques, très réactives, dont l’état varie beaucoup selon les précipitations du moment. On les voit ainsi faire le yoyo entre avril et juin (jaune/orange en avril, bleu/vert en mai, et jaune/vert en juin).

3) La situation des massifs cristallins anciens.

Les massifs cristallins, c’est là où le socle granitique affleure, ce qui est le cas dans le Massif armoricain et dans le Massif Central.

Le granite constitue un aquifère fissuré, mais contrairement au karst, les fissures ne s’élargissent pas. Ainsi, ces roches ne peuvent stocker que très peu d’eau. Eau qui de plus circule relativement rapidement. Ainsi, on se trouve ici dans des roches de forte diffusivité, qui contiennent donc des nappes réactives. Le niveau des nappes dans ces massifs dépend donc principalement des précipitations récentes. En Bretagne, les précipitations ont été supérieures aux normales aux mois de mars et d’avril, ce qui explique les forts niveaux de remplissage.
Dans le Massif Central, c’était plus mitigé, avec des pluies assez abondantes en mars, mais il faisait plus sec en avril, d’où la situation légèrement déficitaire.

Et dans les deux cas, on a des niveaux qui varient rapidement d’un mois à l’autre, à cause de la réactivité importante des nappes.

4) La situation des bassins oligocènes.

Les Bassins oligocènes sont des petits bassins sédimentaires orientés nord-sud. Il s’agit du fossé Rhénan, du fossé Bressant et des Limagnes.

Ces bassins ont des envergures faibles, mais présentent tout de même des fortes profondeurs de sédiments. Ils sont de plus constituées de roches poreuses capables de stocker des quantités importantes d’eau (molasses, marnes, sables…).

Les nappes qui s’y trouvent, à l’instar de celles du Bassin Parisien, sont donc très peu réactives (nappes inertielles). Ainsi, comme pour le Bassin Parisien, les faibles niveaux mesurés s’expliquent par les déficits hydriques subits depuis un ou deux ans. Les niveaux des nappes dans ces bassins tranchent donc avec les niveaux des nappes alentours, beaucoup plus réactives…

5) La situation dans le sud-est de la France.

Dans cette région, on a une grande diversité d’aquifères : des aquifères calcaires / karstiques qui réagissent très rapidement, mais aussi des aquifères plus capacitifs, capables de stocker de forts volumes d’eau. Mais de toute façon, dans ce coin-là, quel que soit l’intervalle de temps considéré, les pluies sont archi déficitaires, donc nappes réactives comme nappes inertielles se retrouvent avec des niveau bien trop bas.

Seule embellie : les pluies de mai ont été abondantes dans la zone, mais l’effet sur les nappes tarde à se faire sentir.

Voilà, je m’arrêterais là pour aujourd’hui. Je n’ai pas fait tout le territoire pour ne pas alourdir un peu plus mon propos, mais en gros :
-pour le bassin aquitain c’est pareil que pour le BP.
-Pour le Jura, c’est du karstique donc des nappes très réactives.
-Pour les terrains triasiques à l’est du BP, vu qu’on est en lisière du BP, les aquifères sont moins épais donc on a une plus forte diffusivité.
Je finirais par cette carte qui représente la diversité des aquifères dans notre pays, et que je trouve très intéressante malgré son ancienneté.