Le maïs

Le maïs est souvent fustigé par les militants écologistes comme étant une culture particulièrement nocive pour notre environnement.
Eau, productivité, stockage de carbone… Je réponds aux questions que vous vous posez peut-être sur cette plante étonnante.

Plan de l'article :
1-Le maïs est-elle une plante gourmande en eau ?
2-Pourquoi le métabolisme du maïs est-il particulier ?
3-Le maïs stocke-t-il le carbone de façon efficace ?
4-Le maïs est-il majoritairement dédié à l’élevage ?
5-Quelles perspectives pour le maïs dans le futur ?
N’hésitez pas à le mettre en signet et à le lire en plusieurs fois car c’est assez long.
 
1-Le maïs est-elle une plante gourmande en eau ?

En 2020, 34% des cultures de maïs grain étaient irriguées, 6.1% pour le maïs fourrage (source ici).
En termes de taux d’irrigation, c’est beaucoup, mais c’est moins que plusieurs autres cultures : par exemple, le soja est irrigué à 51%, les légumes frais à 59%, Les agrumes à 100%, les vergers à 60%, et les pommes de terre à 40% (chiffres de 2010)...

En termes de surface en revanche, le maïs est sans contestation la première culture irriguée de France. En 2023, 590 milliers d’hectares de maïs grain (+ une centaine de milliers de maïs fourrage) étaient irrigués.
A noter que ces chiffres sont tout de même en diminution par rapport à 2010 : Pour le maïs grain, on est en effet passé de 40% de taux d’irrigation en 2010 à 34% en 2020. Ce qui correspond quand même à 56 milliers d’hectares de moins.

Malgré cette baisse, le maïs représente tout de même environ un tiers du des surfaces irriguées (32 %).

Or, l’agriculture, via l’irrigation, est responsable de 58% de notre consommation d’eau en France.
En considérant que les surfaces agricoles consomment à peu près la même quantité d’eau par hectare indépendamment du type de culture, on peut ainsi estimer que le maïs est responsable d’environ 18% de la consommation d’eau prélevée au milieu en France.
On ne va pas se mentir, cette proportion est considérable. Et cela permet de comprendre pourquoi le maïs est autant critiqué par les militants écologistes.

Mais attention, car contrairement aux idées reçues, à production constante, le maïs n’est en fait pas plus gourmand en eau que d’autres cultures de céréales (au contraire) : pour produire 1 kg de maïs grain, il faut en effet environ 454 L d’eau, contre 590 L pour la production d’un kg de blé, ou 524 L pour la production d’un kg d’orge...
Et c’est encore moins pour le maïs fourrage : seulement 238 L d’eau par kg de maïs… (source : Eaufrance)

En réalité, si le maïs utilise autant d’eau d’irrigation, c’est avant tout parce qu’il s’agit d’une culture d’été, et qu’à cette saison les précipitations sont souvent insuffisantes pour assurer le développement de la plante.

2-Pourquoi le métabolisme du maïs est-il particulier ?

La bonne efficacité hydrique du maïs est liée à un métabolisme particulier : la photosynthèse en C4.
Vous savez sûrement que les plantes réalisent la photosynthèse, qui est un processus qui leur permet de fabriquer elles-mêmes de la matière organique à partir de matière purement minérale (le CO2 et l’eau). Ce processus nécessite de l’énergie lumineuse qui est captée par les pigments chlorophylliens (dans les chloroplastes des cellules).

Dans une photosynthèse classique, le CO2 est fixé sur du ribulose bisphosphate (un sucre à 5 carbones) par une enzyme spécialisée (la « Rubisco »), ce qui va former deux sucres à 3 carbones (le phosphoglycérate). On parle donc de photosynthèse en C3.

La Rubisco, l’enzyme qui permet la fixation du CO2, a cependant un petit problème : en présence de O2, elle va en effet catalyser en parallèle une autre voie métabolique, la « photorespiration », en permettant la fixation du O2. Cette deuxième activité concurrence son activité fixatrice de carbone, ce qui diminue l’efficacité de la photosynthèse.

Mais chez le maïs, comme chez les autres plantes en C4, une astuce permet d’éluder ce problème. Dans les cellules en contact avec le O2 (les cellules du « mésophylle »), le CO2 est fixé par une autre enzyme, la PEPcarboxylase, qui est beaucoup plus efficace que la Rubisco. Cette fixation va aboutir à la formation de sucres à 4 carbones (d’où le terme « C4 ») : l’oxaloacétate.

Cet oxaloacétate va ensuite être transformé en malate, qui sera transporté jusqu’aux cellules de la « gaine », situées au centre du mésophylle. Le mésophylle joue un rôle de barrière pour le O2, qui sera donc en concentration très faible dans la gaine.

Là, le malate va redonner du CO2, qui pourra ainsi être utilisé classiquement par la Rubisco pour la photosynthèse. En absence de O2 dans la gaine, la Rubisco ne sera pas débauchée pour faire de la photorespiration, et donc la photosynthèse pourra se faire de manière optimale.
Ce type de métabolisme présente cependant un inconvénient majeur pour la plante : elle est très coûteuse en énergie. Mais ce problème n’en est pas vraiment un en conditions d’ensoleillement optimales, comme c’est généralement le cas en été.
En contrepartie, le métabolisme en C4 permet de diminuer les besoins en CO2. Or, l’approvisionnement en CO2 est coûteux en eau pour la plante : Des petites ouvertures (les « stomates ») permettent de le faire entrer dans les feuilles, mais dans le même temps ces stomates laissent sortir de l’eau sous forme de vapeur. Ainsi, un besoin restreint en CO2 permet à la plante de laisser la plupart du temps ces stomates fermés, ce qui lui permet d’économiser l’eau.

Ceci explique pourquoi le maïs est une plante d’été, et pourquoi son efficience en eau est supérieure à la plupart des autres céréales.
Ce type de métabolisme permet également une forte productivité (cf. partie suivante), et des besoins moindres en azote.
 
3-Le maïs stocke-t-il le carbone de façon efficace ?

C’est une question qui revient fréquemment sur le tapis lorsque le sujet est évoqué. Le maïs serait une plante qui permettrait un stockage optimal du carbone, donc qui serait bénéfique pour atténuer le réchauffement climatique…
Ces affirmations sont cependant à prendre avec des pincettes.
Déjà, attention avec le verbe « stocker », qui peut prêter à confusion. Stocker du carbone désigne en effet deux choses bien différentes : le fait de transformer du CO2 en carbone organique (il s’agit d’un flux de carbone), ou le fait de fixer de manière durable le carbone sous forme organique (il s’agit d’une séquestration sur le long terme du carbone).
Le maïs est effectivement une plante particulièrement efficace pour produire de la matière organique.
D’après Agreste, les cultures de maïs présentent les plus hauts rendements céréaliers de France, avec environ 91 q/ha pour le maïs grain, et 124 q/ha pour le maïs fourrage (en 2023).

Par comparaison, en 2023, le blé tendre n’a un rendement que de 74 q/ha, le blé dur 54 q/ha, et l’orge 67 q/ha.

En termes de prélèvement de carbone atmosphérique, d’après MaizEurope, le maïs est capable de fixer sous forme de matière organique 22 tonnes de CO2 par hectare et par an.
C’est effectivement considérable. Pour comparaison (selon Wikipedia), la productivité primaire nette d’une forêt tropicale, c’est 400 gC/m2/an, ce qui correspond « seulement » à la fixation d’une quinzaine de tonnes de CO2 par ha et par an.
Mais attention, car parmi ces 22 tonnes de CO2 fixés, une grosse part va revenir très vite sous forme de CO2 dans l’atmosphère.
La matière organique contenue dans les grains va être consommée (par les animaux ou par nous), et va ensuite rapidement se transformer en CO2 lors du mécanisme de la respiration cellulaire.

Ainsi, pour savoir si le maïs arrive effectivement à séquestrer le carbone dans le sol sur le long terme, ses bonnes performances en termes de productivité ne suffisent pas.
D’après MaizEurope, Environ la moitié de ces 22 tonnes de CO2 fixées par le maïs sera ensuite restituée au sol.

Mais attention, même s’il est bénéfique d’avoir de la matière organique dans les sols agricoles, cela ne signifie pas que cette matière sera forcément séquestrée sur le long terme. Car ces résidus vont être majoritairement consommés par les décomposeurs du sol, qui retransformeront tout ça rapidement en CO2 (toujours par respiration cellulaire).
Alors comment savoir si le maïs permet effectivement (ou non) la séquestration du carbone sur le long terme dans les sols ?
Pour cela, je suis allé jeter un œil à cette méta-analyse. En conclusion, le maïs est effectivement la plante de culture la plus efficace pour séquestrer du carbone dans les sols cultivés, mais à hauteur seulement de 1 t de C par ha et par an, soit environ 3.7 tCO2/ha/an (ce qui est déjà pas mal en vrai).

Après, il ne faut pas s’emballer non plus, car en pratique, sur des agrosystèmes de types champ, les stocks de carbone restent en général faibles. Surtout si on compare avec les prairies permanentes chez qui il est avéré que le stock de carbone est considérable (de l’ordre de 236 tC/ha).

Ainsi, on peut dire que le maïs est avantageux en termes de séquestration du carbone par rapport à d’autres types de cultures, mais il reste cependant préférable pour le climat de nourrir nos élevages ruminants avec de l’herbe de prairie qu’avec du maïs.
 
4-Le maïs est-il majoritairement dédié à l’élevage ?

Globalement, oui.
Concernant le maïs grain, voici les statistiques « FranceAgrimer » de la filière entre 2017 et 2023.

Sous forme de graphique, ça donne ça en gros…

Le problème de ces chiffres c’est que pour la part « exportation », je ne connais pas la part d’utilisation pour le bétail. Je vais donc estimer la part d’alimentation pour le bétail dans le maïs qui reste en France.

On est donc à environ 41% du maïs grain dévolu à l’alimentation animale.
Mais attention, car il y a aussi le maïs fourrage (qui lui va à 100% dans l’alimentation du bétail).
Si je prends les chiffres d’Agreste 2023, le maïs fourrage présente autant de surfaces cultivées que le maïs grain en France (1228 milliers d’ha pour le maïs grain, contre 1238 milliers d’ha pour le maïs fourrage).
Sur le total de maïs produit en France (grain + fourrage), on en a donc environ 72% dédiées à l’alimentation animale, soit les ¾.

Maintenant, si on regarde uniquement les surfaces irriguées, ça s’équilibre un peu car le maïs fourrage nécessite beaucoup moins d’irrigation que le maïs grain. On a donc environ « seulement » 50% des surfaces irriguées de maïs qui sont dédiées à l’alimentation animale.

5-Quelles perspectives pour le maïs dans le futur ?

Comme on l’a vu, la culture du maïs est étroitement liée à l’élevage, qui a clairement un mauvais bilan sur le plan écologique. Mais je pense qu’il serait injuste de faire porter le chapeau au maïs des impacts de l’élevage.
Il faudra sans doute diminuer l’élevage à l’avenir, mais ce n’est pas en diminuant de force le maïs français qu’on y arrivera : dans ce cas, on importera juste davantage de maïs, ou davantage de viande, ou on produira / importera d’autres types de fourrages qui ne seront pas forcément plus écologiques.
En revanche, pour les élevages bovins et ovins, il serait effectivement sans doute préférable de se passer de maïs en privilégiant les prairies, qui disposent de meilleures performances écologiques et patrimoniales, et qui stockent le carbone de façon plus efficace.
(Même si l’herbe présente aussi certains inconvénients d’ordre pratique par rapport au maïs, comme la vulnérabilité à la sécheresse, ou la disponibilité au cours de l’année…)
Outre ces problématiques liées à l’élevage, on a aussi celle de la consommation en eau d’irrigation. Dans un contexte de réchauffement climatique et de raréfaction de la ressource en eau pendant l’été, cultiver le maïs risque de devenir de plus en plus compliqué dans certaines régions.
Il faudra donc opter pour des solutions d’adaptation.

Ne plus faire de maïs dans certaines régions ?
Si on abandonne le maïs, on devra faire le choix entre ne pas utiliser les terres agricoles concernées pendant l’été, ou faire pousser d’autres plantes pendant cette période. Le premier choix serait responsable d’une perte de productivité de nos terres agricoles, qui aurait des conséquences économiques considérables.
D’autant que si la demande reste constante, celle-ci sera comblée par davantage d’importation de maïs étranger, produit dans des conditions écologiques qui ne sont pas forcément meilleures que chez nous. Dans le deuxième choix, il faut être conscient qu’il n’y a pas beaucoup de cultures d’été capables d’une aussi bonne efficacité hydrique que le maïs… Peut-être le sorgho ?
Changer le maïs par du sorgho ?
Je vous invite à aller voir ce très bon thread de @SergeZaka qui explique qu’il s’agit bien d’une solution, mais pas non plus la panacée.
Pour résumer, le sorgho est également une plante en C4, qui se substitue efficacement au maïs dans l’alimentation animale.

Et de plus, le sorgho présente une meilleure efficacité hydrique que le maïs. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas du tout besoin d’irrigation dans beaucoup de cas. Et en cas de conditions hydriques suffisantes, le maïs a un rendement bien meilleur que le sorgho.

Améliorer génétiquement le maïs ?
D’après l’INRAE, on a une certaine marge de progression dans l’amélioration du maïs, et notamment dans l’amélioration de sa résistance à la sécheresse.
Et si les « nouveaux OGM » sont autorisés en Europe (obtenus par édition du génome), les choses devraient rapidement évoluer de ce côté-là.
Voilà, ce sera tout pour aujourd’hui (et c’est déjà pas mal !).

(Merci à Céline Duroc pour la relecture)