Les zones intermédiaires :
Des zones agricoles à faible rendement déterminées par un contexte géologique particulier.

En France, toutes les terres agricoles ne se valent pas. On a des terres très fertiles et plates comme la Beauce ; on a des terres montagneuses et pauvres dévolues à l’élevage.
Et entre les 2, on a les « zones intermédiaire », auxquelles on va s’intéresser aujourd’hui.

Ce texte va traiter avant tout de géologie, et s’inscrit à la suite d'un précédent article, plus général, que je vous incite à lire si ce n’est pas déjà fait. Dans cet article, il sera encore une fois question de cartes, de coupes, de cailloux et de sols… Et c’est ça qu’on veut, alors c’est reparti !

Déjà, les zones intermédiaires, c’est quoi ?
Je suis persuadé que la majorité d’entre vous n’en ont jamais entendu parler, et c’est bien normal. Pourtant, ces zones couvrent quand même un bon quart de notre territoire :

Ces zones intermédiaires, comme leur nom l’indique, est un concept flou, qui est plus déterminé par l’absence de caractéristiques que par une identité forte.
Ce ne sont pas vraiment des zones de plaine, mais pas vraiment non plus des zones montagneuses. Ce ne sont pas vraiment des zones d’élevage, mais pas vraiment non plus des zones adaptées à la grande culture…
Bref, difficile de vraiment les définir de façon claire.
Dans ce rapport, ces zones sont notamment définies par des rendements moyens / faibles (inférieurs à 66 quintaux/ha en blé tendre).
 
Maintenant qu’on sait ce que sont ces fameuses ZI, on va essayer de comprendre d’où viennent ces faibles rendements, et ce qui fait l’identité géologiques de ces régions.
Et qui dit géologie, dit … Carte au millionième de la France.

Et là, on se rend compte que la zone géographique des ZI suit les terrains bleus du Bassin Parisien et du Bassin Aquitain, donc les terrains Jurassiques.
Alors remettons-nous dans le contexte de l’époque. Le Jurassique c’est une période située entre 200 et 145 Ma, appartenant à l’ère Mésozoïque.

A cette époque, il fait plutôt chaud, et par conséquent il n’y a pas de calottes glaciaires. Le niveau marin est par conséquent élevé et déborde sur de nombreux continents.
C’est le cas en France (cf. carte de droite), majoritairement sous l’eau à l’époque (mais avec des profondeurs faibles).
De plus, la France est située à l’époque plus au sud qu’actuellement, au niveau du tropique, donc on s’imagine la présence à l’époque de mers chaudes et peu profondes…

Des mers tropicales et peu profondes ? L’idéal pour le développement de récifs coralliens, qui devaient être omniprésents à cette époque en France.

Et qui dit récifs coralliens, dit sédimentation de calcaires : des calcaires récifaux (au niveau de la barrière), des calcaires coquilliers ou oolithiques (à l’avant du récif ou dans le lagon).

On peut en avoir la confirmation en regardant les cartes géologiques au 50 000ième.
Ici la carte de Mansle (nord d’Angoulème) avec sa légende. Des calcaires récifaux, des calcaires subrécifaux, des calcaires coquilliers (à lamellibranches) …

Ici la carte de Tonnerre en Bourgogne. Des calcaires récifaux (dont le calcaire de Vermenton), des calcaires oolithiques, des calcaires à spongiaires…

Et le truc, c’est que tous ces calcaires massifs sont assez résistants à l’érosion, du moins plus qu’une craie ou qu’une argilite…
Et qui dit plus résistant à l’érosion, dit plus de reliefs. Vérifions ça sur une coupe du bassin parisien…

On voit bien que les terrains jurassiques (bleus) sont beaucoup plus accidentés que les terrains crétacés d’à côté. Idem par rapport aux terrains triasiques.

Ces reliefs sont d’autant plus marqués qu’on se trouve dans une zone du Bassin Parisien où se forment les fameuses cuestas.
Et qui dit reliefs, dit plus d’érosion du sol, car les particules sont plus facilement entrainées par les eaux de ruissellement. Et qui dit plus d’érosion du sol, dit des sols moins épais donc plus caillouteux et plus secs. Vérifions sur une carte de la profondeur du sol…

Voilà comment on se retrouve dans ces régions là avec des terres accidentées, caillouteuses et relativement peu fertiles.
Alors pourquoi on n’a pas la même chose sur les terrains Crétacé ? Il faisait chaud aussi à l’époque pourtant… Pourquoi n’y a-t-il pas eu des calcaires massifs comme dans le Jurassique ?

Le truc c’est qu’au Crétacé, non seulement il fait encore plus chaud, mais en plus la Pangée (le supercontinent de l’époque) est en train de se fracturer. Cela coïncide avec la mise en place de plein de dorsales océaniques, qui fonctionnent à plein régime.

Et le bombement thermique de toutes ces dorsales (qui sont des zones volcaniques, je le rappelle) prend beaucoup de place dans le fond des océans, ce qui fait monter le niveau marin encore davantage.

Cette augmentation record du niveau marin (= transgression) pendant le Crétacé fait que la mer présente en France devient plus profonde et moins favorable aux barrières récifales.

A la place, on a plutôt des êtres vivants planctoniques (vivant dans la colonne d’eau). Et dans les eaux chaudes du Crétacé, le plancton c’est avant tout de grandes quantités de Coccolithophoridés, des sortes de petites boules microscopiques entourées de petite « écailles » de calcaires (les coccolithes).

Lorsque ces coccolites sédimentent au fond de la mer, ils s’entassent, se cimentent, pour à terme donner une roche friable : la craie.

Retournons à nos zones intermédiaires.
On a donc vu que ces zones présentent des difficultés agricoles du fait de sols peu profonds. Dans ce contexte, on peut penser que l’agriculture de conservation des sol (ACS) serait particulièrement adaptée, car permettrait de mieux conserver l’eau et les minéraux, et aussi d’éviter que ces sols ne s’érodent encore davantage (cf. extraits ci-dessous choisis dans ce rapport).

Une dernière chose : s’il y a des férus de géographie parmi vous, vous remarquerez la similitude (dans la partie nord, du moins) entre cette région en diagonale contenant les zones intermédiaires et ce qu’on appelait autrefois « la diagonale du vide », qui correspond à une zone de faible densité démographique.

Je ne suis pas géographe, mais il est possible que les difficultés agricoles associées à cette zone soient partiellement responsables de la désertification de la partie nord de cette diagonale.

Voilà comment des événements géologiques ayant eu lieu il y a des dizaines de millions d’années peuvent conditionner partiellement la vie de millions de gens, et le travail de milliers d’agriculteurs.