« Pourquoi stocker l’eau en surface dans des bassines alors qu’elle peut être stockée en profondeur, bien au chaud dans des aquifères ? »
Cet article s’inscris en continuité par rapport à celui-ci dans lequel je traitais du stockage de l’eau en surface dans des retenues de substitution, et pour lequel il m’a été reproché de n’avoir pas traité des alternatives à ce stockage en surface. Donc c’est à ça que je vais m’atteler aujourd’hui en parlant des techniques d’optimisation de la recharge des nappes d’eau souterraines, toujours dans une optique d’adaptation à la sécheresse.
On verra notamment si ces techniques rendent inutiles ou non la mise en place de bassines, si décriées actuellement.
1- Pourquoi favoriser le stockage souterrain ?
Les nappes d’eau souterraines ont des capacités limitées, et il peut arriver qu’elles se vident complétement pendant la période d’étiage (= pendant l’été), notamment en cas de sécheresse prolongée. Or, de nombreux prélèvements sont justement réalisés dans ces nappes, notamment pour l’eau potable ou pour l’irrigation. Si les nappes sont vides, ces prélèvements sont compromis, et ça pose des problèmes.
De plus, dans les zones côtières, un affaiblissement des niveaux piézométriques peut engendrer une intrusion d’eau salée de la mer vers les nappes souterraines. Conséquence : des nappes contaminées contenant de l’eau impropre à toute utilisation.
Et enfin, une baisse trop forte des niveaux piézométriques dans les nappes, qui sont connectées au réseau hydrographique, peut accentuer la sécheresse de surface, et donc mettre à mal la biodiversité.
Du coup, favoriser le stockage de l’eau dans ces nappes pendant l’hiver pourrait permettre de conserver de bons niveaux piézométriques, ce qui permettrait d’éviter ce genre de désagréments. Et contrairement aux bassines, l’eau ainsi stockée en profondeur est à l’abri de l’évaporation, et est également davantage à l’abri des contaminations chimiques et biologiques.
2- Quelles sont les caractéristiques des lieux de stockage de l’eau en profondeur ?
Les nappes d’eau souterraines sont contenues dans des terrains géologiques présentant des interstices : les aquifères. Ces aquifères présentent une grande diversité.
Parfois l’eau est stockée plutôt dans des fissures, et on parle alors d’aquifères discontinus.
C’est le cas par exemple dans certaines régions calcaires qualifiées de « karstiques ». Dans ces zones -là, l’eau s’infiltre par des réseaux de fissures, agrandies par les effets de la dissolution. Cela peut former notamment des grottes, des rivières souterraines, des avens, etc.
C’est le cas également dans les régions cristallines ou le socle granitique affleure en surface comme le massif Central, le Massif Armoricain ou les Vosges. Parfois, au contraire, l’eau est stockée dans la porosité de la roche : on parle alors d’aquifères continus. C’est le cas par exemple des terrains sableux, gréseux, ou crayeux, ou des alluvions.
Il existe aussi bien sûr des aquifères mixtes, qui présent à la fois une porosité et des fissures. Ces aquifères peuvent également avoir différentes positions par rapport à la surface : Certains aquifères sont directement connectés avec la surface et le réseau hydrographique : les aquifères à nappe libre. D’autres sont situés en profondeur sous des niveaux imperméables (en général argileux) : les aquifères à nappe captive.
(source de l'illustration : EauFrance)
En outre, les aquifères peuvent être définis par deux grandes caractéristiques : la diffusivité et la capacité.
-La diffusivité correspond à la vitesse d’écoulement de l’eau en son sein. Cette diffusivité est très variable d’un aquifère à l’autre : les aquifères karstiques présentent de très fortes vitesses d’écoulement, tandis que les aquifères poreux présentent en général des diffusivités plus faibles.
-La capacité correspond au volume d’eau pouvant être stockée dans un aquifère. Elle dépend de la porosité de la roche et de l’épaisseur de l’aquifère. La porosité dépend encore une fois énormément du type d’aquifère considéré. Dans ce tableau, on a le volume que peut contenir 1 m3 d’aquifère.
En France, on a une grande diversité d’aquifères, dont la nature est déterminée par la géologie locale. Voici une carte de la localisation de ces aquifères (récupérée ici)
3- Comment aider à la recharge de ces aquifères ?
Les activités humaines ont en général un impact négatif sur la recharge des aquifères : L’urbanisation, par la mise en place de larges surfaces bétonnées, favorise le ruissellement en empêchant l’eau de s’infiltrer.
De même, les pratiques agricoles peuvent être responsable de la création d’une croute imperméable en surface (= la « battance »), ce qui rend le sol moins propice à l’infiltration de l’eau.
Favoriser la recharge des nappes souterraines, c’est donc avant tout limiter ces impacts-là. Pour cela, il faut limiter la bétonisation, installer des espaces verts y compris en ville, et il faut faire évoluer nos pratiques agricoles. Pour ce dernier point, plusieurs axes d’amélioration sont possibles :
-La limitation ou l’arrêt du travail du sol permet à celui-ci de garder sa structure et ainsi d’éviter le phénomène de battance. En gros, les systèmes racinaires des végétaux (vivants comme morts) font en quelque sorte office de porte d’entrée de l’eau dans le sol. Par exemple, l’agriculture de conservation (ACS) ou les pratiques culturales simplifiées (ACS) permettent une meilleure infiltration de l’eau de pluie.
-La mise en place de haies et l’agroforesterie permettent d’améliorer l’infiltration (via les systèmes racinaires).
-La préservation de la faune du sol, et notamment des vers de terre, permet également une meilleure aération, ce qui permet à l’eau de s’infiltrer davantage.
Mais il existe aussi des moyens artificiels permettant de donner un coup de pouce à la recharge de ces aquifères, et c’est maintenant exclusivement à ceci que l’on va s’intéresser (Pour la suite de cet article, je me baserais principalement sur ce rapport du BRGM qui résume l'état de la science à ce sujet). Et ces techniques ne sont pas du tout de la science-fiction, puisqu’elles sont déjà utilisées depuis maintenant des décennies, en France ou ailleurs.
-La création de bassins et retenues collinaires filtrants.
Le principe est le suivant : on crée des bassins à partir des eaux de ruissellement (retenues collinaires) ou des cours d’eau (retenues sur barrage). Mais au lieu de conserver l’eau dans ces bassins, on la laisse s’infiltrer dans la nappe sous-jacente.
Ces méthodes, peu couteuses, permettent ainsi de favoriser l’infiltration au détriment de l’écoulement. Ce qui ferait moins d’eau allant jusqu’à la mer, mais davantage d’eau stockée dans les nappes.
-Injections directes via des forages.
Le principe est d’injecter l’eau directement dans l’aquifère via un système de pompe et de forage. On peut ainsi injecter l’eau dans un aquifère à nappe libre ou un aquifère à nappe captive (ce qui peut être intéressant).
L’eau injectée peut être prélevée dans les cours d’eau…
… Ou bien ça peut être carrément des eaux usées. Après avoir subit un traitement préalable, bien sûr. A savoir que, pour le moment, il est interdit en France d’injecter des eaux usées dans les aquifères, mais il s’agit cependant d’une piste sérieusement envisagée par certains organismes scientifiques (comme le BRGM) pour augmenter la quantité d’eau disponible en période d’étiage. De plus, le sol / sous-sol a un pouvoir épurateur (se comporte comme un filtre), ce qui permettrait de pouvoir recharger des aquifères avec des eaux de moindres qualités (des eaux usées faiblement traitées).
-Recharge artificielle indirecte.
Le principe est de favoriser l’infiltration de l’eau des cours d’eau dans les nappes, mais de manière indirecte. En gros, on pompe de l’eau à proximité d’un cours d’eau afin de faire diminuer localement le niveau piézométrique (on parle de « rabattement de nappe »). Ce rabattement va ainsi permettre d’augmenter les flux d’eau du cours d’eau vers la nappe (eau qui sera de plus filtrée par les alluvions des berges).
Ainsi, cette technique permet de pomper dans les nappes pour nos usages (irrigation, eau potable, remplissage de bassines…), sans que les niveaux piézométriques n’en pâtissent trop.
4- Limite de ces techniques ?
A l’instar des bassines, les techniques de recharges artificielles présentent aussi des risques sanitaires et environnementaux. Elles nécessitent donc elles-aussi des études préalables avant d’être mises en œuvre.
L’injection des eaux usées en nappes présente notamment d’importants risques sanitaires (ce n’est pas pour rien si c’est interdit pour le moment). Mais il semblerait qu’il y ait moyen de les éviter au maximum. De plus, les retenues d’eau et les transferts par pompages perturbent les flux hydriques dans les zones concernées, de la même manière que les bassines (l’évaporation en moins). Il peut également y avoir des problèmes de colmatage pour les bassins d’infiltration et la recharge artificielle indirecte : Le flux d’eau qui s’infiltre entraine des particules qui bouchent les interstices et gênent à termes l’infiltration. Ces problèmes de colmatage étant difficilement contournables, il semble assez inévitable que l’efficacité de ces dispositifs diminue avec le temps…
Mais la principale limite réside dans le fait que ces techniques ne sont pas applicables partout. Pour certaines caractéristiques d’aquifères, l’efficacité de ces dispositifs peut être faible, voire nulle. En simplifiant, il semblerait que les bassins d’infiltrations et le transfert direct par pompage ne soient pas efficaces en cas de faible capacité et de forte diffusivité de l’aquifère ciblée.
-Que se passe-t-il en cas de faible capacité de l’aquifère ?
Si le volume d’eau stockable est trop limité, il est probable que les nappes soient à saturation à la sortie de l’hiver, avec ou sans dispositifs... Dans ce cas, ces techniques ne permettent donc pas d’augmenter le stock d’eau. Et les nappes, même remplies, du fait de leur faible volume, peuvent très bien ne pas suffire en été en cas de sécheresse.
-Que se passe-t-il en cas de trop forte diffusivité ?
Si la diffusivité est trop forte, alors la connexion entre les aquifères et le réseau hydrographique sera trop forte. Pour faire simple : si on pompe de l’eau dans l’aquifère, il est possible que cette même eau ressorte quelques heures plus tard dans les cours d’eau. Et du coup, l’intérêt de la manœuvre sera perdu.
Ainsi, ces techniques de recharge artificielle des nappes phréatiques ne semblent pas adaptées aux régions dotées d’aquifères fissurés cristallins (trop faible capacité), ni aux région karstiques (trop forte diffusivité, et capacité limitée).
5-Quelles sont les régions adaptées / inadaptées ?
Partant de ce postulat, et considérant la carte des aquifères de la France, on peut statuer sur l’intérêt de ces techniques en fonction des régions.
-Le cœur du bassin parisien et du bassin aquitain, constitués de craies et d’aquifères poreux multicouches semblent être des zones idéales pour la mise en place de ces techniques.
-Les massifs cristallins, comme la Bretagne, le Massif Central, les Alpes, la Corse ou les Vosges ne semblent en revanche pas très adaptés, sauf localement au niveau de petits bassins sédimentaires (la Limagne, par exemple).
-Les zones karstiques, plissées ou non, ne sont pas non plus adéquates. Il s’agit globalement des terrains jurassiques du Jura et des Bassins Parisien et Aquitain (bordure nord et est du BP, bordure nord-est du BA).
Concernant la région des Deux-Sèvres donc j’avais évoqué le projet de bassines la dernière fois, on peut noter que la zone se trouve justement sur une zone karstique, donc non adaptée à la recharge artificielle des aquifères. Et ces terrains calcaires sont posés sur du socle cristallin qui présente de très faibles capacités de stockage de l’eau.
(Pour en savoir plus sur les caractéristiques hydrologiques de cette région, vous pouvez jeter un œil sur ce rapport)
Ainsi, la recharge artificielle des nappes ne semble pas être une alternative viable aux bassines dans cette région.
6- Conclusions
Favoriser le stockage profond de l’eau plutôt que le stockage superficiel semble être une option tout à fait intéressante à certains endroits, mais comme souvent il ne s’agit pas non plus d’une solution miracle et il est important de statuer au cas par cas. J’ai tendance à voir une sorte de complémentarité entre ces deux types de stockage, avec du stockage profond qui doit être privilégié dans les zones présentant des aquifères poreux de forte capacité. Et du stockage de surface qui, malgré ses défauts et une évaporation significative, peut constituer une alternative sur des aquifères karstiques de forte diffusivité, étroitement connectés au réseau hydrographique.
Et bien sûr, toutes ces techniques de stockage ne doivent pas nous faire perdre de vue le fait que la lutte contre les sécheresses futures passera avant tout sur une gestion basée sur la diminution des prélèvements (comme il est dûment précisé dans le rapport du BRGM).