Néonicotinoides et betteraves

Impact des NNI sur l’environnement :

Les NNI sont fréquemment qualifiés de « tueurs d’abeilles ». Et en effet, les agences sanitaires ont mis en évidence des risques de l’usage de ces pesticides pour les abeilles domestiques. Il semblerait cependant qu’il ne s’agisse pas de la cause principale du déclin des abeilles domestiques, qui est hautement multifactorielle. Par exemple, le Varroa Destructor, un parasite importé d’Asie, semble avoir un effet bien plus grand que les NNI sur la mortalité de nos abeilles domestiques.
Cependant, les NNI ont aussi d’autres conséquences sur les abeilles sauvages, les arthropodes, les oiseaux… Bref, il semblerait que leur réglementation était nécessaire.
Ils ont ainsi été interdits totalement en France en 2018.
Mais en été 2020 le gouvernement revient sur cette interdiction en accordant une dérogation qui entrera en vigueur dès 2021 pour la culture de betteraves…

  
 

La jaunisse de la betterave :

Les betteraves peuvent être infectées par 4 virus différents causant la jaunisse. Ces virus sont inoculés aux betteraves par le rostre de pucerons. Quelques piqures suffisent à transmettre le virus, et un seul puceron peut infecter des dizaines de betteraves.
Les NNI permettent de lutter efficacement contre ces pucerons en les tuant avant qu’ils n’aient le temps de transmettre la maladie, mais leur interdiction à posé de grave problème à la filière.
En effet, la jaunisse peut entrainer des pertes de rendements qui peuvent dépasser les 50%, et les pertes en 2020 ont été considérables : 40% des rendements ont été perdus dans les zones contaminées. Ainsi, la jaunisse semble mettre en danger toute la filière betterave en France en entrainant une perte considérable de compétitivité.

 

Y-a-t-il des alternatives ?
D’après l’ANSES, aucune véritable alternative n’est actuellement possible :
Les auxiliaires des cultures sont inefficaces car la maladie se transmet trop rapidement.
Retarder les levées ou changer les rotations de cultures n’ont pas montré d’efficacité contre la jaunisse.
Il n’y a pas encore de variété résistante à la jaunisse.
Il existe cependant des alternatives chimiques mais pas forcément plus vertueuses et beaucoup moins efficaces (le Teppeki et le Movento). Pour compenser l’arrêt des néonicotinoïdes, les agriculteurs ont appliqué en moyenne 1,6 traitements aériens en 2019 et 2,6 en 2020.

Réintroduire les NNI pour traiter la betterave entraine-t-il un risque pour l’environnement ?

Attention, la dérogation à l’interdiction des NNI ne concerne que la betterave, soit seulement 485 000 ha sur 18.4 millions d’hectares de terres arables (2.6% de la surface arable cultivée).
La dérogation concerne l’utilisation de semences enrobées, mais n’autorise toujours pas les épandages aériens.
Et il faut savoir que la betterave est une plante bisannuelle, et qu’elle est récoltée avant floraison donc elle n’attire pas les abeilles.
Mais le risque écologique peut tout de même être présent.
 
*Risque de nuage de poussière de pesticides lors du semis.
Ce risque est en fait très faible car :
-Les semences de betteraves sont enrobées par une couche d’argile qui permet d’éviter un tel nuage.
-Les semoirs utilisés dans la culture de la betterave permettent de limiter ce risque.
-Des réglementations ont été décidées ces dernières années afin de limiter ce risque lors du semis.
(Source1, source2)

*Risque d’ingestion par les oiseaux
Ce risque est réel et est décris par plusieurs études
(Source1, source2)

Mais les semences dans le cas de la betterave sont plantées à 2.5 cm dans le sol, ce qui limite les risques (car les semis ne sont pas accessibles pour les oiseaux).

*Risque de guttation par la plante
Les plantes produisent en effet des exsudats qui peuvent présenter des quantités non négligeables de pesticides. Mais le risque chez la betterave est très limité car il s’agit d’une plante qui réalise très peu de guttation. De plus, celle-ci n’a lieu que pendant la nuit, donc lorsque les butineurs sont inactifs.

*Risques de persistance et de diffusion :
-Il semblerait que certains NNI persistent sur de longues durées (> à un an) dans les sols.

- De plus, plus de 95% des NNI de l’enrobage se retrouve à terme dans l’environnement.
(Source)

-D’après l’EFSA, même dans le cadre de la culture de la betterave, il y aurait bien un risque dans la culture suivante (élevé) et dans les cultures adjacentes (modéré à faible) pour les abeilles domestiques et surtout pour les bourdons.

(Source)
 
-Mais il semble que la quantité de NNI présent dans le sol à l’année N+1 soit extrêmement faible (inférieurs à la limite de quantification de 10 μg/kg) pour les 2 molécules utilisées en betterave. Vu que la dérogation impose une culture non-mellifère ensuite, le risque semble donc limité.
(source : Persistence of clothianidin, imidacloprid and thiamethoxam in soils after sugar beet crops and subsequent crops that are not attractive to pollinators, Inicio)
-Après, il existe également un risque pour les arthropodes aquatiques si les NNI se retrouvent dans les eaux de ruissellement puis dans un court d’eau. Mais on ne sait pas si la quantité de NNI qui atteint les courts d’eau est suffisante pour que ce risque soit réel dans le cas des semences enrobées de betteraves.
(Source)
 
En conclusion, il semble que le risque de cette dérogation soit bien réel, mais fortement limité. En revanche, le bénéfice est lui considérable pour la filière.
Cette décision, à titre personnel, ne me parait pas du tout aberrante même si je conçois qu’elle peut être débattue. On peut espérer que des variétés de betteraves génétiquement résistantes à la jaunisse voient rapidement le jour durant les années à venir, ce qui permettrait de mettre un terme définitif à l’usage des NNI.
 
 
Pour aller plus loin :
http://www.itbfr.org/tous-les-articles/article/news/f-a-q-betterave-sucriere-pucerons-verts-jaunisse-et-neonicotinoides/
https://projetutopia.info/neonics-betteraves-et-le-monde/
http://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/180228
https://www.pseudo-sciences.org/Insecticides-et-abeilles-une-cohabitation-exigeante-et-necessaire