Retenues des Deux-Sèvres : En quoi le contexte géologique est-il favorable au projet ?

Cela fait quelques temps que le projet de retenues des Deux-Sèvres fait débat, avec un paradoxe apparent : Pourquoi diable le rapport du BRGM est-il favorable ?
Les spécialistes, pourtant, nous mettent en garde contre ce type de retenues (dans le cas général) pour une bonne raison : le pompage risque de vider progressivement la nappe phréatique si elle n’arrive pas à se remplir l’hiver (argument que j’avais détaillé ici). Alors pourquoi donc ne serait-ce pas le cas pour ce projet ?

Car la situation géologique locale est particulière, et c’est ce que je vais essayer d’expliquer ici. En plus, ça sera l’occasion de faire un peu de géologie, qui est une discipline bien trop sous-évaluée. Et quand on fait de la géologie en France, en général on sort THE carte : la carte géologique au millionième.

Explications rapides pour les profanes : les terrains indiqués sur la carte sont les roches situées « à l’affleurement » c’est-à-dire situées en surface. Pour simplifier, il y a deux grands types de terrains géologiques :
-Les roches magmatiques ou magmatiques métamorphisées (majoritairement du granite et du gneiss) qui constituent le « socle ». Ces roches apparaissent en nuances de rouges / roses / oranges / violet (et un tout petit peu de jaune), cf. à droite de la légende (« plutonisme »).

Le socle, c’est la majorité de la croute continentale (qui fait quand même une vingtaine / trentaine de km d’épaisseur en France). Ce socle apparait à certains endroits en surface au niveau des massifs cristallins (Massif Central, Massif armoricain, Vosges, Alpes, Pyrénées).

-Et les roches sédimentaires, qui se déposent par-dessus le socle (= la couverture). Ces roches sont natures très diverses (grès, argilites, calcaires massifs, marnes, craies, sables…) et forment une mince couche (quelques km max) au-dessus du socle. Les roches sédimentaires apparaissent de différentes couleurs selon leur âge (bleu = jurassique, vert = crétacé, etc.).

Les roches sédimentaires sont visibles à l’affleurement dans la majeure partie du territoire français, surtout au niveau de bassins sédimentaires (Bassin Parisien, Bassin Aquitain, Bassin du Sud-Est, Fossé de Bresse, Limagnes, Fossé Rhénan…)

Plaçons maintenant le territoire ciblé par le projet sur cette carte… On voit qu’on se trouve sur une zone sédimentaire de couleur bleue (jurassique, donc), en bordure du Bassin Aquitain.

On se trouve en fait à proximité de ce qu’on appelle le « seuil du Poitou », qui correspond à la zone de transition entre le Bassin Parisien et le Bassin Aquitain. Zone coincée entre deux grands massifs cristallins (Massif Central et Massif Armoricain).

Et au niveau du seuil du Poitou, il se trouve que les couches sédimentaires sont peu épaisses, car le socle ne se trouve pas très loin sous la surface (cf. vue en coupe).

Or, le socle cristallin est un très mauvais aquifère (il ne contient que très peu d’eau), car il a une porosité très faible.

Les nappes phréatiques sont donc exclusivement contenues dans les couches sédimentaires jurassiques sus-jacentes. Couches sédimentaires qui sont donc, comme on l’a dit, peu épaisses. Ainsi, les aquifères contenant ces nappes présentent de faibles volumes de stockage, et les nappes concernées sont généralement des nappes libres, en relation directe avec la surface (contrairement à la majorité du Bassin Aquitain qui est constitué d’un « mille-feuilles » sédimentaire).

Intéressons-nous maintenant à la nature de ces aquifères.
Comme on l’a dit, il s’agit de roches Jurassiques, donc principalement des calcaires massifs. Ce type de calcaires ne présente que peu de porosité, en revanche l’eau peut être contenue dans des failles qui peuvent s’élargir sous l’action de l’eau par dissolution (le calcaire est une roche facile à dissoudre). Ainsi, suivant l’état de dissolution, on peut avoir des aquifères de type « calcaires fissurés » si les fissures sont peu élargies. C’est le cas sur toute la moitié sud de la zone ciblée (Voir sur ce rapport p. 17).

Ou des aquifères de types « karstiques », si les fissures sont très élargies. Ce type d’aquifère est présent dans la partie nord de la zone ciblée, dans la zone la plus proche du seuil du Poitou (Voir sur ce rapport p. 15).

Dans les deux cas, on a un volume d’eau stocké par m3 de roche qui est plutôt faible (surtout pour le calcaire fissuré non karstique).

Ce qui valide bien le fait que les aquifères de la région sont de faible capacité : le volume d’eau maximal pouvant être stocké dans ces roches est faible.
Mais ce n’est pas tout. Car dans ces types d’aquifère (karstiques ou fissurés), l’eau circule très rapidement : on dit qu’il s’agit d’aquifères à forte transmissivité.

Si je récapitule, les aquifères de la zone sont :
-Majoritairement à nappe libre (pas de terrain argileux étanche entre la nappe et la surface),
-De faible capacité (faible volume d’eau stocké, à cause de la faible épaisseur sédimentaire et de la faible porosité des roches).
-De forte transmissivité (l’eau circule rapidement dans les fissures et dans le karst), ce qui implique des échanges importants entre la nappe et les cours d’eau.

Le temps de séjour de l’eau dans l’aquifère, qui peut s’estimer en divisant le volume d’eau stockée par la vitesse des échanges avec le réseau hydrographique, est donc très faible dans la région.
C’est ce qu’on appelle des « nappes à faible inertie » (Voir dans ce rapport p. 17).

Concrètement, qu’est-ce que ça signifie ? Que l’eau présente à un moment « t » sera déjà partie de l’aquifère quelques mois plus tard.
En conséquence :
-Les cours d’eau et les nappes sont étroitement connectés. (p.23)

Cette caractéristique se manifeste sur les piézomètres par une forte réactivité de la nappe en fonction de la pluviométrie et du débit des cours d’eau (une fois la « réserve utile » du sol saturée). (p. 19)

Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, dans cette zone il n’y a pas vraiment de différence entre prélever l’eau dans la nappe ou dans le cours d’eau.
- Le temps de séjour de l’eau dans l’aquifère est inférieur à la durée entre les saisons. Ainsi, les situations hydrologiques des nappes sont indépendantes entre hiver et été : il n’y a pas de cycle pluri-annuel.
Ça signifie que, quel que soit l’ampleur de la sécheresse estivale, les nappes ont de fortes probabilités de se remplir pendant l’hiver quand même. Et inversement, les prélèvements faits pendant l’hiver n’ont pas forcément d’impact sur le niveau de la nappe l’été. (p. 38)

-Le stockage artificiel de l’eau en profondeur dans les nappes n’est pas une solution viable sur ce territoire.
Comme je l’ai expliqué dans ce précédent article, la diffusivité importante de ces aquifères associée aux faibles capacités de stockage des nappes rend ces techniques caduques. Concrètement, l’eau qu’on stockerait dans la nappe pendant l’hiver ne serait pas retenue suffisamment longtemps pour qu’elle nous soit utile l’été.
 
Pour toutes ces raisons, le stockage de l’eau en surface dans des retenues de substitution est particulièrement bien adapté dans cette région, et ce n’est pas seulement moi qui le dis (p.39) :

Ce qui, encore une fois, ne signifie pas que ce serait le cas ailleurs.