Megabassine - Réponse aux commentaires sur Twitter

Le fil twitter sur les mégabassines a eu énormément d’audience, ce qui n’était pas spécialement prévu, mais tant mieux ! Conséquence directe de cette audience : un lot considérable de questions et de critiques. La plupart de ces remarques ont été énoncées dans le respect et la cordialité, et je remercie leurs auteurs.
Pardonnez-moi si j’ai parfois été un peu sec dans mes réponses, mais face à l’afflux de notifications, ma patience a parfois été mise à rude épreuve.
Il y a eu aussi, comme à l’accoutumé, une minorité de pénibles (des deux camps, d’ailleurs), qui ne sont pas capables de formuler des critiques avec respect. Pour ceux-là : vous pourrissez et polarisez le débat, et ne convaincrez jamais personne en gardant cette attitude.

Il y a eu aussi quelques threads qui ont suivi le mien, y apportant critiques et / ou compléments. Il y a eu celui écrit par deux chercheuses (une géographe et une hydrologue), M. Reghezza et F. Habets, qui complète de manière fort à propos mon thread en apportant des éclairages salutaires sur plein de choses non traitées dans le mien.

Il y a ce thread, de Jragusa, qui est court mais tout de même intéressant sur le stockage en nappe :
Et il y a eu aussi celui de Factsory, très à charge… Sur lequel, évidemment, je serais plus critique. Certains l’ayant trouvé intéressant, je vous invite tout de même à aller y jeter un œil.

J’espère que ce thread gommera certaines imprécisions et maladresses que j’ai pu faire dans mon premier. Car oui, je suis loin d’être parfait, et en conséquence mes threads ne le sont pas non plus.
Voici une réponse aux différentes remarques sur ce sujet épineux.

1- Une petite précision.

Déjà, je tenais à bien clarifier les choses car il me semble qu’il y ait eu quelques méprises : l’étude du BRGM du projet des Deux-Sèvres décrite dans mon thread ne permet de faire des conclusions QUE sur CE projet. Les autres projets ailleurs doivent faire leurs preuves et peuvent potentiellement poser problème.
Les arguments des opposants sur les problèmes de déficits hydriques potentiels liés à l’évaporation sont valides dans beaucoup de cas. Ils sont d’ailleurs soutenus par des scientifiques, ce n’est pas seulement une lubie d’écolo.
Juste, il semblerait que dans le cas du projet des Deux-Sèvres, ces problèmes-là soient plus que compensés par les gains potentiels.
Je ne suis pas pro-bassine, ni anti-bassine. Je suis contre la mise en place des bassines sans étude préalable attestant de leur viabilité, et je suis contre l’opposition systématique à tout projet. Je suis en revanche pour le cas par cas, et pour qu’il y ait plus d’études locales réalisées sur le sujet.

2- Une opposition caricaturale « agriculteurs vs. Ecologistes ».

C’est vrai que c’est caricatural et c’est un regret : j’aurais dû faire autrement. Il me fallait des qualificatifs pour les deux « camps », et ce sont les plus simples / clairs que j’ai trouvés sur le moment. Même si une majorité des agriculteurs sont pour ces projets et qu’une majorité des écologistes sont contre, c’est évidemment plus compliqué que ça… Je ne pense pas que cette dénomination ait nuit à la vulgarisation, mais il est évident qu’elle a pu contribuer à polariser le débat, à le caricaturer, voire à blesser certaines personnes, comme les agriculteurs opposés au projet.
Après, à ma décharge, les journalistes utilisent très souvent ce genre de raccourcis (mais ce n’est pas une raison de faire pareil). Quelques exemples : FranceInfo, SudOuest, BFMTV.

3- Un thread orienté ?

Plusieurs personnes m’ont reproché ou ont fait remarquer que mon thread était orienté et qu’il y avait une idéologie derrière. Evidemment que je ne suis pas neutre. J’ai, moi aussi, une idéologie. Et même si j’essaie d’être au maximum objectif, il est en effet fort possible que mes convictions transparaissent dans mes threads. Mais c’est le cas de tout le monde en fait.
Après, en ce qui me concerne, j’essaie de faire preuve d’honnêteté intellectuelle en décrivant les points de vue et les arguments des deux « camps » de manière respectueuse. Et, lorsqu’il m’arrive de donner mon avis (comme à peu près 100% des vulgarisateurs sur twitter), j’essaie de prendre le temps de mettre des marqueurs sémantiques de type « je pense » / « à mon avis », afin de ne pas faire passer mes opinions pour des faits.

Concernant mon idéologie, il y a eu ce tweet qui a fait des émules :
Effectivement, je n’aurais pas dû mettre cette parenthèse qui peut être interprétée de bien des manières. Pour clarifier les choses : mon opinion sur le sujet, c’est qu’on devrait, en France, préserver nos rendements (donc conserver une agriculture « productiviste », d’une certaine manière). Car si nos rendements diminuent, on produira moins, donc on diminuera l’offre de produits français sur le marché. Cela n’aura pas forcément de conséquences sur la demande, qui, probablement, restera la même. Ainsi, le manque à produire, en plus de mettre à mal le système agricole français, serait à mon avis compensé à l’étranger par des systèmes agricoles souvent pires que le nôtre.
Après, ça ne veut évidemment pas dire que je pense que le système actuel est parfait ou qu’il ne faut rien changer. Mais je suis pour une évolution vers plus d’optimalité, avec l’adoption de mesures permettant à la fois d’améliorer les choses sur le plan environnemental tout en préservant tant bien que mal les rendements. Je n’irai pas plus loin, mais si vous voulez en savoir plus sur ma manière de penser, je vous invite à lire mes précédents articles sur l’agriculture :
 
4- Un thread en désaccord avec l’avis des experts ?

J’ai eu le droit à ce commentaire acerbe. Premièrement, je préfère accorder davantage d’importance à un rapport du BRGM se basant sur un travail de chercheurs depuis plus de 5 ans, plutôt qu’à un bout d’itw lapidaire de 3 lignes accordé à France Info (où d’ailleurs la question est ultra orientée !).
Et la réponse de M. Pettenati reste très vague... Il y a trois lignes qui exposent les problèmes possibles posés par les retenues d'eau dans le cas général, OK. Mais ça ne dit pas si ces problèmes sont rédhibitoires ou si les avantages les compensent.
Et pour cause : ça dépend des cas !
On m’a soumis en outre ce tweet de F. Habets, où elle dit : « pas clair que cela permettra de sortir du déficit quantitatif » en parlant du projet des Deux-Sèvres. Mais attention, elle ne dit pas que c’est une mauvaise solution, juste qu’il y a des chances que ça ne suffise pas.
On m’a soumis cet autre tweet de F. Habets, où elle dit : « Consensus des chercheurs : des solutions à chercher dans les sols, les nappes et les solutions fondées sur la nature! pas que des solutions techniques & barrages ! ». Ce tweet est approuvé par D. Darmendrail, hydrogéologue.
Le mot « que » est important : Cette phrase n’énonce en rien que les solutions techniques de type bassines ou barrage ne font pas partie de la solution à certains endroits. Elle dit juste qu’il semblerait y avoir consensus sur le fait que d’autres solutions complémentaires soient nécessaires. Ce n’est pas du tout contradictoire avec mon thread, qui traite exclusivement du stockage de l’eau en surface, mais pas de ces solutions complémentaires (il m’aurait fallu une bonne cinquantaine de tweets supplémentaires et une bonne dizaine d’heures de travail).

Concernant ces solutions complémentaires, j’aurais pu / dû en glisser un mot à la fin. A vrai dire, j’ai hésité, mais mon thread étant déjà très long j’ai laissé tomber.
Parmi ces autres solutions, on trouve par exemple (liste non exhaustive) :
-le stockage dans les nappes,
-L’agroforesterie,
-Le non labour,
-la mise en place de couverts végétaux,
-le développement de cultures d’été moins gourmandes en eau (via l’amélioration génétique, des changements dans les choix des plantes cultivées, une diminution de l’élevage…).
-Une régulation des usages,
Etc.
 
Quoi qu’il en soit, je n’ai pas voulu cacher ces tweets de Mme Habets, je n’en avais juste pas la connaissance au moment de faire mon thread. Je ne suis pas omniscient sur twitter, alors ne m’accusez pas de malhonnêteté sans raison valable…

5- Des conclusions du BRGM travesties ?

Toujours concernant cette étude du BRGM, on m’a accusé d’avoir « travesti » les conclusions.
Soi-disant que « le seul rôle du rapport est de calculer les volumes d'eau en plus ou en moins dans les cours d'eau selon que des méga-bassines sont employées ou non, pas les impacts potentiels de ces changements sur l'environnement. ».
Pourtant, lorsqu’on prend le soin de regarder les conclusions de l’étude, il y est bel et bien indiqué que le projet pourrait « améliorer les conditions de développement de la biodiversité ».
Evidemment, ce conditionnel est valable dans le cadre du projet comme défini dans le rapport ce qui inclue des règles d'utilisation de l'eau.

En vérité, je n’ai fait que citer, quasiment mot pour mot, le rapport du BRGM, avec des captures d’écran à l’appui… Alors chacun pourra juger du fait que, non, je n’ai ni travesti ni déformé les conclusions de ce rapport.
Au passage, le BRGM a bien confirmé sur twitter les résultats de son étude (quelle surprise…), en indiquant encore une fois qu’il ne s’agissait que d’une conclusion locale, ce que j’avais indiqué dans mon thread.
 
6- Une étude biaisée ?

Il y a eu des critiques sur l’intervalle de référence de l’étude du BRGM (2000 à 2011). Certaines personnes pensent que cet intervalle n’est pas suffisamment récent donc biaisé, car les épisodes de sécheresses sont aujourd’hui beaucoup plus fréquents.
Cependant attention, si elles sont bien réelles, les augmentations des épisodes de sécheresses sont très progressives.
Et il y a dans l’intervalle de référence deux sécheresses conséquentes, qui ont permis d’étudier comment réagissait le système dans ce cas-là.

(Attention : notre vision est biaisée par le fait que cet été était particulièrement sec !)

D’autres personnes disent au contraire que la situation était « dégradée » au cours de cette décennie de référence, car les prélèvements étaient à ce moment-là plus importants.
Ces critiques / limites sont réelles (comme dans toute étude d’ailleurs), après est-ce qu’elles sont suffisantes pour disqualifier cette étude ? Personnellement, je ne pense pas (sinon, à quoi cela sert-il de faire des études locales ?), mais chacun est libre de se faire sa propre opinion sur le sujet.
On m’a reproché de ne pas faire mention de ces limites. J’ai parlé de l’intervalle de référence, mais n’ai effectivement pas dis en quoi il pouvait poser problème. Mais n’allez pas non plus m’accuser de malhonnêteté de ne pas l’avoir fait. Je ne pense pas que les gens qui citent des études sur twitter pensent toujours à indiquer leurs limites (Factsory ne le fait pas non plus d’ailleurs).

7- Des versions antérieures du rapport défavorables ?

Dans ce tweet, on me reproche d’avoir choisi « la troisième version car les deux précédentes étaient défavorables ». C’est faux, les deux autres versions ne sont pas défavorables. Juste beaucoup moins précises. Il semble de plus logique de choisir la version la plus récente et la plus aboutie, et je trouve ça incroyable de m’accuser de désinformation pour cette raison.
pour info voici la V1, avec une citation de la conclusion :

8- Quid des implications sociales et politiques de ce projet ?

Mon thread n’avait que pour objectif de traiter des aspects techniques. J’ai un peu débordé sur les aspects idéologiques, mais je ne voulais pas rentrer dans les détails de toutes les implications politiques de ce projet car c’est très complexe et ce n’est pas dans mon domaine de compétence.
Evidemment, même si techniquement la science dit qu’un projet est réalisable et peu contraignant sur le plan environnemental, cela ne signifie pas que le projet sera forcément bon par ailleurs. Pour que ce soit le cas, il faut que les acteurs travaillent à ce que la mise en place du projet se fasse de la meilleure des manières pour tout le monde. Mais là, on dépasse largement la portée de mon thread…
Si vous voulez vous renseigner sur les évolutions des négociations du projet des Deux-Sèvres, je vous conseille la lecture de ce rapport.
Par ailleurs, je rappelle que le mot « idéologique » n’est pas péjoratif. Qualifier certains arguments d’idéologiques n’était pas un moyen de les discréditer ou de les évacuer… Il y a des arguments idéologiques que j’ai trouvé pertinents, d’autres moins, mais l’idéologie n’est en aucun cas une mauvaise chose…
Ainsi, mon thread était tout sauf une opposition « Science vs. idéologie » : il y a des arguments scientifiques qui sont pour et d’autres contre, il y a des arguments idéologiques qui sont pour et d’autres contre, il y a des arguments que je trouve pertinents, d’autres moins… Bref, c’est complexe.
 
9- Le projet des Deux-Sèvres ne profite-t-il qu’à de gros exploitants ?

Certaines personnes semblent persuadées sur le projet des Deux-Sèvres ne profiterait qu’à de gros exploitants et au secteur agro-industriel.
Il y a sur ce projet 220 exploitations concernées sur les 300 présentes dans la zone. Ce projet concerne donc ¾ des exploitations… Ce ne sont donc pas seulement les plus gros exploitants qui en profitent !

220 exploitations concernées, pour une surface de 35 000 ha. Cela fait une moyenne de 159 ha par exploitation. C’est effectivement beaucoup plus que la moyenne des exploitations nationales (68 ha par exploitation en 2020). Mais ce n’est pas énorme si on compare à la moyenne des tailles d’exploitation en grandes cultures (le graphique suivant décrit le nombre d’exploitation par surface en île de France, je n’ai pas les chiffres pour les Deux-Sèvres).

De plus, si grâce au projet les nappes sont davantage préservées en été, il y aurait moins de mesures de restriction sur les usages de l’eau, ce qui profiterait indirectement aux autres exploitations utilisant l’irrigation.

10- Une fuite en avant ?

Certaines personnes pensent que ce type de projet peut engendrer une « fuite en avant » en incitant les agriculteurs à faire davantage de cultures exigeantes en eau. C’est malheureusement très possible. Et j’ai d’ailleurs reçu un témoignage d’une personne qui avait constaté ce phénomène dans une autre région après l’installation de moyens de stockage. C’est pourquoi je pense qu’il faut qu’il y ait des contreparties de la part des agriculteurs irrigants, avec un engagement de leur part à limiter leur consommation d’eau (au moins à ne pas en utiliser plus).
Ça tombe bien, car pour le projet des Deux-Sèvres, les agriculteurs se sont dits prêts à s’engager.

Il faudrait s’assurer que les parties prenantes tiennent leurs engagements, mais je pense que c’est faisable. Et si c’est le cas ça pourrait être du gagnant-gagnant pour tout le monde.

11- Abandonner le maïs serait-il la solution ?

Beaucoup de gens fustigent le maïs, en disant que si on abandonnait ce type de cultures, alors il n’y aurait pas besoin de bassines.
Il est vrai qu’une grosse part de l’irrigation est dédiée au maïs (41%). Mais c’est une des rares cultures à pousser en plein été, alors c’est un peu normal que ça nécessite plus d’irrigation que de l’orge de printemps, par exemple, qui bénéficie de pluies printanières plus abondantes.
Apparemment, le maïs consommerait en fait plutôt moins d’eau que d’autres cultures à masse de denrées produites équivalente. Mais comme ce besoin d’eau survient en plein été, celui-ci est davantage fournie par l’irrigation.

Y-a-t-il des alternatives ? Justement, pas des masses. Il y a bien le sorgho par exemple, mais attention à priori ce n’est pas la panacée non plus ! Je vous invite à lire ce thread très complet de Serge Zaka sur le sujet :
On peut aussi tout simplement décider de ne rien faire pousser l’été, mais dans ce cas on perd en efficience : les terres cultivées, dont chaque hectare nuit à la biodiversité, produiront moins à l’année, donc pas sûr que ça diminue les impacts à production équivalente !

12- Abandonner ou diminuer drastiquement l’élevage ?

On m’a soumis l’idée qu’on pourrait arrêter (ou diminuer) l’élevage, très consommateur d’eau, ce qui permettrait de n’avoir pas besoin de ces bassines.
Encore une fois, je pense qu’il serait malvenu de baisser l’offre française en termes d’élevage sans être sûr que la demande ne diminue pas en parallèle. Car sinon, il se passera qu’on importera juste davantage de viande, et on exportera par conséquent ailleurs les problèmes écologiques associés. A terme je pense qu’effectivement il faudrait moins consommer de viande, mais à mon avis ça ne pourra se faire que progressivement (il y a d’ailleurs une tendance à la baisse en France, ce qui est une bonne nouvelle).
 
Voilà, en espérant avoir traité l’essentiel. Pour les courageux qui sont allés jusqu’au bout du thread, je vous en remercie.
Merci également à ceux qui m’ont soutenu face à des attaques pas toujours constructives. Merci à Thomas Auriel pour le coup de main.
Et bien sûr, merci à Magali Reghezza pour nos discussions intéressantes et apaisées, bien loin des guerres de chapelles et des oppositions que certains voudraient créer de toute pièce.