"Mégabassines" des Deux-Sèvres : de nouvelles données pour éclairer ce sujet hautement polémique.

Après les manifestations de Sainte-Soline, mes fils twitter concernant les "bassines" sont remontés, et, ainsi, de multiples informations nouvelles sont remontées à la surface.
Le but de cet article est donc de compléter les précédents avec ces données nouvelles.

1) Que dit vraiment le GIEC ?

La dernière synthèse du GIEC vient de sortir, et il y a une partie sur les adaptations au réchauffement climatique. Là, on y trouve quelques lignes sur le stockage de l’eau (qui ont fait jaser).

Au regard de ces quelques mots, il semblerait que pour le GIEC, le « stockage de l’eau » fasse ainsi bien parti des solutions d’adaptation au réchauffement climatique. MAIS attention, il y a stockage et stockage. Les bassines sont effectivement des dispositifs de stockage, mais ce sont loin d’être les seuls. Si on regarde en détail le rapport sur la gestion de l’eau, il y est bien confirmé que le stockage de l’eau fait partie des solutions d’adaptation, mais certaines limites de ce genre de dispositifs sont aussi mises en évidence : il y est indiqué que les réservoirs de stockage de l’eau sont coûteux, ont des impacts environnementaux et ne seront pas suffisants partout en cas de réchauffement trop important.

On a notamment cette figure, qui indique les voies d’adaptation, sur laquelle on voit bien que le stockage de l’eau (ligne jaune) est une solution limitée en cas de forts degrés de réchauffement…

Pour plus de détail, je vous conseille d’aller voir ce thread de @Goneri76 qui est beaucoup plus exhaustif que ce que je fais là. Mon interprétation de tout ça, c’est que le stockage de l’eau faisant partie des solutions d’adaptation, ce n’est pas forcément judicieux de s’opposer systématiquement à tout projet de stockage. Aussi, comme manifestement ce type de dispositif présente des risques, il s’agit d’effectuer au cas par cas des études d’impact afin de vérifier si chaque projet en vaut la chandelle, ou pas.

Le GIEC permet de montrer les impacts du changement climatique et permet notamment de définir les limites que doivent respecter tout projet de stockage. Ces limites sont plus ou moins globales et plus ou moins précises suivant l'avancement des connaissances.
Il est donc nécessaire de continuer d'affiner les modèles climatiques ET d'étudier la situation locale au regard de ces modèles.
Pour plus d’information, je vous invite à aller voir ce fil de @SMaroufle qui a fait l’effort d’aller voir les études citées par le GIEC sur ce sujet, qui sont finalement assez peu nombreuses et réalisées sur des contextes qui n’ont rien à voir avec les Deux-Sèvres.
 
2) Critiques et réponses concernant l’étude du BRGM.

Depuis mon premier article sur le sujet, le fameux rapport du BRGM concernant le projet des Deux-Sèvres a fait couler beaucoup d’encre…

a-La « contre-expertise ».
Anne-Morwenn Pastier, docteure en géomorphologie côtière, a rendu public une critique de la simulation du BRGM. Parmi les critiques, quelques remarques techniques sur le modèle utilisé par le BRGM :
-Le modèle utilisé ne serait pas pertinent sur une échelle locale (résolution spatiale insuffisante).
-Il y aurait des manquements dans les estimations des valeurs d’incertitudes. Ainsi, certaines conclusions de l’étude prendraient en compte des variations qui seraient sous la barre d’incertitude, donc non significatives.
-Il y aurait des manquements dans l’estimation des cônes de rabattement des nappes liés au pompage et leurs impacts sur les écosystèmes voisins.
Suite à ces critiques, l’autrice est très sévère envers cette étude et estime que l’outil de modélisation n’est pas approprié.

En outre, A-M. Pastier pose des questions sur des angles morts de cette étude : Quid de l’évaporation ? De l’influence du réchauffement climatique dans le futur ? Du développement de cyanobactéries ?

b- Le communiqué de presse.
Suite à cette critique, et se sentant sous le feu des critiques, le BRGM a rédigé un communiqué de presse. Dans celui-ci, il répond aux critiques qui lui sont adressées :

-Concernant le problème de résolution spatiale, ils admettent les limites du modèle en indiquant qu’effectivement, le maillage n’est pas suffisamment fin pour estimer les variations de débit sur de petits cours d’eau…

…Mais ils confirment l’intérêt de la modélisation concernant l’effet cumulé des prélèvements sur l’ensemble du bassin versant et sur les principaux cours d’eau.

En bref, ce n’est pas parce que le modèle ne permet pas de prévoir ce qui se passe au niveau des petits cours d’eau qu’il n’a pas d’intérêt…

-Concernant le problème des calculs d’incertitude, le BRGM répond que les variations observées dans le modèle restent significatives, même s’il faut les « prendre avec précaution ».

Ainsi il semblerait que, pour le BRGM, les résultats de l’étude restent valables malgré les critiques techniques de son modèle. Ils indiquent en outre qu’ils n’avaient de toute façon pas d’autres modèles à disposition… A savoir que l’élaboration de ce genre de modèles nécessite des coûts conséquents et de nombreuses heures de travail… Or, le BRGM semble déplorer le fait de n’avoir pas suffisamment de moyens pour mener correctement à bien ce genre de mission.

-Concernant les questions de non-prise en charge du réchauffement climatique, le BRGM confirme que le modèle utilisé est de toute façon calé sur la décennie 2000-2011. Et que, du coup, il ne prend pas en compte les variations climatiques récentes et futures (donc les effets éventuels du RC).

Cela ne signifie pas que le RC rendrait forcément caduque le résultat de l’étude pour le futur. Juste qu’ils n’en savent rien.
A savoir quand même deux choses :
*La période 2000-2011 semble représentative de la période actuelle, avec une alternance entre des années sèches et des années plus humides.

Il y a notamment une sécheresse importante en 2005, année au cours de laquelle la bassine n’aurait pas pu se remplir durant la période hivernale (d’après la modélisation).
 
*Le modèle sera réactualisé en 2024, ce qui permettra de prendre en compte la décennie suivante, voire d’estimer l’effet du RC pour le futur…

Concernant les cyanobactéries et l’évaporation, le BRGM dit clairement que ces questions ne faisaient pas partie du périmètre de l’étude (et ça sort de leur domaine de compétence d’ailleurs). Ils étudient ce qui se passe dans les nappes / cours d’eau en fonction des prélèvements prévus par la coopérative de l’eau, mais ce qui se passe dans les retenues après le prélèvement n’est pas vraiment leur problème.

c- L’audition de la responsable du BRGM.
Au cours des débats, une vidéo a beaucoup tourné : il s’agit d’une audition du BRGM commandée par une mission du Sénat. La vidéo est longue et aborde plein de points intéressants. Il y a 5 minutes sur le projet des Deux-Sèvres (entre 14:39 et 14:44), dans laquelle la responsable du BRGM récapitule en gros le contenu du communiqué de presse. Celle-ci reste très prudente et confirme bien que l’étude ne permet pas de dire si les retenues pourront être remplies dans le futur. Elle semble regretter également les instrumentalisations du rapport, mais tout en restant évasive. Ce qui est gênant car à mon avis ce passage a paradoxalement aussi été instrumentalisé… Personnellement, je pense qu’elle a voulu dire que certaines personnes ont pris ce rapport comme une « validation » ultime du principe des « bassines », alors que la portée de celui-ci est limitée. Limitée dans l’espace : les conclusions ne s’appliquent qu’à ce projet, et ne sont pas généralisables à d’autres. Limitée dans le temps : on n’est pas sûr que les conditions n’évolueront pas dans le futur. Et limitée à la composante hydrologique du problème, alors que ce projet peut en soulever d’autres (biodiversité, eutrophisation, implications sociales et économiques…).
Mais que la portée de l’étude soit limitée ne signifie pas qu’il faille l’oublier et la mettre sous le tapis. De mon point de vue, les conclusions restent intéressantes et doivent être prises en compte, dans les limites de ce qu’elles concernent.
 
3) Retour d’expérience sur les retenues déjà en place.

Un autre document fort intéressant a refait surface : Le rapport d’évaluation des retenues déjà installées dans la Vendée Sud. Ce dossier de 250 pages recèle de nombreuses informations, dont une évaluation des performances écologiques des dispositifs installés…
 
-Evolution des niveaux piézométriques.
Comme on pouvait s’y attendre, les niveaux piézométriques ont évolué de façon positive depuis l’installation des réserves.

On voit que les niveaux piézométriques en période d’étiage (l’été) sont globalement nettement moins bas après la construction des retenues qu’avant. On remarque également que le seuil de crise (PCR) au-delà duquel des restrictions d’eau sont appliquées, est franchi nettement moins fréquemment après la construction des dispositifs. Petit bémol cependant, les seuils d’objectifs de remplissage des nappes en fin d’étiage (POEf) restent rarement respectés malgré les dispositifs.

Ce non-respect des objectifs a d’ailleurs déclenché quelques discussions internes parmi les acteurs du projet : Doit-on respecter ces seuils ou non en remettant en cause le modèle économique ? Comment s'assurer que les modifications de pratiques sont bien mises en place (accompagnement, prévisions sur l'année…) ? Le rapport pointe tout de même dans la synthèse une amélioration substantielle de l’ensemble des niveaux piézométriques suite à la construction de ces retenues.

-Les niveau limnimétriques.
Les niveaux d’eau dans les zones humides de la région (le marais Poitevin) ont également été mesurés. Les résultats montrent là aussi une amélioration de la situation depuis l’installation des dispositifs de stockage.

Même si, encore une fois, les seuils d’objectifs ne sont que rarement atteints.

-L’évolution des pratiques agricoles.
On pouvait craindre que l’augmentation de la ressource n’augmente le volume des prélèvements par effet rebond (ou à cause de l’évaporation dans les retenues)… Mais il n’en est rien : ceux-ci sont apparemment restés stables sur la zone (en légère baisse, même).

Et on constate que les prélèvements d’hiver, malgré l’évaporation, se sont bien substitués aux prélèvements d’été, qui eux ont largement diminués.

-Evaporation et contamination par des cyanobactéries.
Dans les 258 pages du rapport, jamais il n’est mention d’une eutrophisation excessive des eaux des retenues empêchant leur utilisation (contamination par des cyanobactéries toxiques). De même, la question de l’évaporation n’est pas abordée. On peut ainsi supposer que ces deux phénomènes n’ont pas posé particulièrement de problème dans l’utilisation des retenues vendéennes.
Surtout que, dans l’étude d’impact du projet des deux Sèvres, ils parlent du projet vendéen et là l’évaporation et les risques sanitaires sont bien cités:

*Pour l’évaporation (p. 59), il y est estimé une évaporation de seulement 3 à 4% du volume total stocké dans les dispositifs vendéens.

*Pour la contamination par d’éventuelles cyanobactéries toxiques, il y est indiqué que « Selon le retour d’expériences développées dans des projets de même nature, les risques sanitaires liés à l’eau stockée dans les réserves de type barrages-réservoirs ne sont pas notables ».

En bref, je pense que d’un point de vue hydrologique, on peut dire que le bilan est globalement positif pour cette expérience.
Mais, encore une fois, ça ne nous dit pas que ce sera encore le cas dans quelques années lorsque le climat sera modifié…
 
4) A quoi s’attendre pour le futur ?

On l’a vu, ni l’étude du BRGM sur le projet des Deux-Sèvres, ni le retour d’expérience en Vendée n’anticipe les effets du réchauffement climatique. Le rapport sera actualisé fin 2024, mais en attendant, on peut essayer de deviner l’effet du RC sur ces retenues de substitution…
C’est ce que j’avais essayé de faire dans cet article, et depuis, il y a eu des interventions intéressantes : notamment ce thread de @SergeZaka et ces tweets de @cassouman40.
Pour vous faire un petit résumé de tout ça : En gros, les modèles climatiques prévoient une baisse estivale des précipitations, mais penchent plutôt pour une augmentation des précipitations en hiver sur cette zone.

A savoir que les prévisions concernant la baisse des précipitations estivale sembleraient plutôt robustes, alors que la hausse des précipitations hivernale serait associée à une forte incertitude. Parallèlement à cela, on a une évapotranspiration / évaporation qui augmente avec la hausse des températures, ce qui contribue à baisser la quantité d’eau disponible (= précipitation - évaporation). Et ce surtout lorsqu’il y a de la végétation active, c’est-à-dire du printemps jusqu’en automne.

Ainsi, s’il semble avéré que la quantité d’eau disponible continuera de diminuer de façon drastique pendant l’été, on a une grosse incertitude concernant l’hiver : avec de la chance, les précipitations hivernales augmenteront et compenseront l’évapotranspiration, ce qui permettra la recharge des retenues. Mais il se peut aussi que les précipitations hivernales n’augmentent pas et dans ce cas la recharge de ces réserves risque de poser problème… Dans tous les cas, l’ensemble des données disponibles tendent à penser qu’en cas de fort réchauffement, les retenues seraient au pire peu utiles et au mieux insuffisantes. Il est donc nécessaire que la construction de ces dispositifs soit associée à une politique plus large d’économie de l’eau.

Et c’est ce qui est prévu dans la région, avec notamment des contreparties considérables demandées aux agriculteurs engagés dans le projet (soit 202 exploitations sur les 300 de la zone qui sont concernées par l’irrigation).
Sur ce document, vous pouvez avoir un aperçu de ces contreparties, avec notamment une baisse importante du volume total d’irrigation, ainsi qu’un engagement dans des pratiques agroécologiques. Sachant que le respect de ces contreparties conditionnera l’accès à l’eau de ces réserves de substitution.
(Colonne blanche : projet initial, colonne verte : nouveau projet incluant des contreparties pour les agriculteurs

A savoir que les agriculteurs ont plusieurs solutions à leur disposition pour tenir leurs engagements et diminuer leurs prélèvements. Pour avoir une petite idée de ce que sont ces solutions, je vous invite à aller voir ce très bon thread de @bapt_labeyrie. Mais bien entendu, tout cela demande du temps pour être mis en place, de la formation et de l'accompagnement… Dans les projets existants (comme en Vendée), on commence juste à obtenir des résultats, mais c’est encore loin d’être parfait.
 
5) Conclusions.

On arrive à la fin de ce long thread. Alors un petit bilan histoire d’avoir les idées claires :
-Contrairement à ce qu’on entend souvent, d’un point de vue hydrologique le projet de Sainte-Soline n’est pas une « aberration écologique ». L’ensemble des données fournies par le contexte géologique régional (nappes très réactives, qui ne retiennent pas l’eau), par les retours d’expérience en Vendée, et par le modèle du BRGM tendent à penser que ce projet devrait améliorer la situation hydrique de la région, avec des conséquences positives sur les zones humides et les niveaux piézométriques estivaux.
-Les problèmes d’évaporation et de contamination des réserves par des cyanobactéries toxiques, pointés par les opposants, n’ont pas été mentionnés dans les retours d’expérience en Vendée, ce qui laisse à penser qu’ils ne sont pas véritablement un obstacle à ce genre de projet.
-Ce type de projet a cependant des externalités autres que hydrologiques, avec un impact local sur la biodiversité et un coût important (financé en grande part par de l’argent public).
-L’incertitude réside dans l’avenir, car le RC risque de rendre cette solution technique moins efficace, et probablement insuffisante. En cas de baisse trop importante de l’eau disponible l’hiver, les retenues auront de plus en plus de mal à se remplir. Ceci ne sera pas non plus un problème hydrologique pour la zone, du moment que les seuils de prélèvement sont respectés. Mais une baisse de l’utilité du dispositif risque de rendre l’investissement initial (économique et écologique) difficile à rentabiliser. La mise à jour de l’étude du BRGM fin 2024 devrait nous permettre d’y voir plus clair à ce sujet…
-Pour éviter les risques de maladaptation, ces projets doivent s’insérer dans une politique de l’eau plus globale, avec notamment des contreparties pour les agriculteurs irrigants. Et c’est le cas pour le projet en question.
 
Voilà pour ce bilan, en espérant qu’il vous aura aidé à y voir plus clair dans cet imbroglio d’informations…