Retenues de substitution – l’eau prélevée l’hiver va-t-elle manquer aux milieux et écosystèmes ?

Avec le départ du convoi de l’eau, on a encore eu des interventions publiques de M. Tondelier, B. Biteau, avec son lot d’échanges plus ou moins vifs en réaction.
En général, le principal argument en faveur des bassines, c’est que l’eau prélevée l’hiver pour le remplissage des bassines aurait de toute façon été « perdue » dans la mer.
Et à ceci, les détracteurs enchainent en arguant qu’il n’y a pas d’eau « perdue » ; que l’eau, avant d’aller à la mer, approvisionne un tas d’écosystèmes et d’êtres vivants. Et que même une fois arrivée à la mer, l’eau douce à un rôle important au niveau de l’exutoire.

En vrai, les deux camps ont plus ou moins raison : Dans le cas du projet des Deux-Sèvres (qui est le projet controversé), il est vrai que l’eau prélevée l’hiver pour le remplissage n’aura aucun impact sur les niveaux des nappes l’été. Car, comme je l’ai déjà expliqué, l’eau circule dans les nappes, et à grande vitesse à cause de la nature géologique des aquifères karstiques qui les contiennent.
Ainsi, le temps maximum d’incidence d’une pluie sur les nappes du coin est de 1 mois. L’eau hivernale présente dans les nappes est donc largement déjà partie lorsque la saison estivale arrive. (Plus d'explication dans cet article).

Mais il est vrai également que l’eau, même allant à la mer, n’est pas perdue pour tout le monde. Elle est perdue pour nous, ça c’est vrai, mais elle profite effectivement aux milieux naturels.
Alors est-ce que l’eau de remplissage des bassines manque vraiment à ces milieux naturels pendant l’hiver ?
Pour répondre à cette question, j’ai trouvé intéressant de faire quelques petits calculs histoire d’appréhender les ordres de grandeurs des volumes d’eau considérés.

Les retenues se remplissent entre novembre et mars. J’ai donc commencé par récupérer les données de précipitations moyennes entre novembre et mars à Niort (ici).

Il s’agit du volume d’eau total entrant dans le système. Mais une partie de ce volume est directement perdu par évapotranspiration par les surfaces végétales. En période hivernale, les taux d’humidité des sols sont satisfaisants, donc j’ai supposé que l’évapotranspiration réelle était similaire à l’évapotranspiration potentielle (ETP), qui est une donnée accessible sur météofrance.fr.
J’ai ainsi récupéré ces données d’ETP et réalisé une bête soustraction afin d’obtenir la quantité d’eau qui va s’infiltrer. C’est cette eau qui va circuler dans le sous-sol, dans les cours d’eau, et qui va profiter aux écosystèmes avant de s’écouler dans la mer.

Ensuite j’ai obtenu les valeurs de superficie des bassins versants concernés : le bassin de la Sèvre Niortaise a une superficie de 1074 km², et celui du Mignon / Courance 621 km². J’ai multiplié la surface totale par la hauteur d’eau précédemment calculée. Et j’arrive à un volume total de 466 millions de m3

Par comparaison, le remplissage de toutes les mégabassines prévues dans le projet des Deux-Sèvres nécessite 6.2 millions de m3, soit 1.3% de l’eau disponible pendant la saison hivernale.

Un taux qui parait quand même assez négligeable.
Bon, après, pour avoir un aperçu de l’incidence du remplissage des réserves sur les débits hydriques hivernaux, le mieux c’est encore de jeter un œil sur les simulations du BRGM, qui donnent exactement le même ordre de grandeur !

Mais comme ce rapport a été contesté, et qu’on a du mal à se rendre compte d’où viennent leurs chiffres vu la complexité de la démarche, j’ai trouvé intéressant de faire ce petit calcul dans un but pédagogique.
Et gardons à l’esprit qu’avant la construction de ces retenues, les volumes d’eau d’irrigation étaient prélevés en été, où les volumes d’eau disponible étaient beaucoup plus faibles : faibles précipitations, forte évapotranspiration, et faible réserve d’eau dans les nappes (qui se sont largement vidangées depuis l’hiver). Ainsi, en période estivale, la proportion d’eau prélevée par rapport au volume d’eau disponible est beaucoup plus important, donc beaucoup plus problématique.
Alors, en revanche, il faut être conscient que ce calcul a été fait pour une année « moyenne ». En cas de sécheresse hivernale importante, ce n’est pas la même mayonnaise. J’ai refait le calcul avec les données de l’hiver 2005, qui correspond à la pire sécheresse hivernale des deux dernières décennies.

Dans ce cas-là, les volumes prélevés correspondent à 8.2% du total d’eau disponible sur le bassin versant, ce qui n’est pas négligeable (mais il en reste quand même).

Et il faut être conscient qu’il y a des disparités importantes de précipitations selon les mois, donc effectivement si on pompe trop un mois où il ne pleut quasiment pas, là ça risque de poser un vrai problème. D’où la nécessité d’avoir des seuils réglementaires de remplissage des nappes qui conditionnent le prélèvement de l’eau.
C’est le cas dans le projet des Deux-Sèvres, où les valeurs de ces seuils ont été fixés par le protocole d’accord suite à l’étude d’impact du projet, et s’appuient sur les côtes d’alertes hivernales des nappes et cours d’eau impliqués. Alors après, on peut critiquer ces seuils, mais personnellement, je ne me sens pas qualifié pour cela.
 
Alors, pour les commentaires qui vont me dire que, avec le réchauffement climatique, ces sécheresses météorologiques hivernales risquent de devenir de plus en plus importantes, j’en profite pour vous renvoyer sur mes précédents travaux (ici et ) : 
Mais pour résumer :
-Les précipitations, contrairement à ce qu’on pourrait penser, pourraient augmenter en hiver (selon les modèle actuels). Mais on n’en est pas du tout sûr.
-L’évapotranspiration devrait augmenter (notamment en automne), ce qui devrait diminuer la disponibilité en eau.

Donc oui, on n’est pas sûr de pouvoir remplir ces bassines dans le futur, mais on n’est pas non plus sûr de l’inverse.